Le générique de la nouvelle fiction de TF1, « Docteur Claire Bellac », est incomplet. Les téléspectateurs y découvriront bien sûr les noms de Véronique Jannot, qui effectue sa grande rentrée TV dans le rôle-titre, et de François-Eric Gendron, qui joue le (grand, évidemment) patron d'un service de chirurgie, ceux de quelques seconds rôles, des scénaristes, Nicole Jamet et Pierre-Jean Rey et du réalisateur, Didier Albert.
Mais manquent à l'appel au moins deux noms : ceux des médecins qui sont intervenus comme « conseillers techniques ». Pour l'un, le Dr Philippe Delpech, urgentiste au SAMU de Paris, c'est sur sa demande expresse que son nom n'est pas mentionné. « J'ai trop honte », lâche-t-il carrément. Pour sa consur, le Dr Agnès Suc, également urgentiste, médecin dans un service pédiatrique de Toulouse, la « contribution se situe trop en amont dans l'élaboration du scénario et celui-ci a subi trop de modifications » pour qu'elle reconnaisse ses petits dans la mouture finale qui va être diffusée ce soir - « et que, d'ailleurs, la chaîne ne m'a même pas proposé de visionner », précise-t-elle.
Incohérences
Rien ne prédestinait le Dr Delpech à collaborer à la production d'une série télévisée. « Il y a eu un beau jour un coup de fil au SAMU pour demander si on pouvait fournir un peu de matériel ainsi qu'un médecin pour donner des conseils techniques, raconte cet anesthésiste de 50 ans . Il se trouve que j'étais alors disponible et, la curiosité aidant, sans parler de la rémunération proposée*, j'ai donné mon accord. J'imaginais à ce moment-là me retrouver dans un environnement de la qualité, comme celui de la série-culte "Urgences" ». La désillusion a été brutale.
Le conseiller médical sera sollicité pour quatre journées de tournage, dans un studio à Nanterre et en décors réels sur le bord d'une route, pour reconstituer une séquence d'accident de voiture, dans un appartement à Neuilly et dans le service de radiologie de l'hôpital de Garches.
« A chaque fois, poursuit-il, j'étais stupéfait par le nombre et l'énormité des incohérences. Par exemple, les patients censés être dans un coma profond répondaient tranquillement aux questions des médecins. Et puis les moyens pour reconstituer un environnement médical digne de ce nom étaient des plus comptés. Tout devait être bricolé au dernier moment. Comme des pans de murs entiers restaient vides malgré tous les efforts des accessoiristes, il fallait resserrer constamment les plans. »
Seule satisfaction pour le Dr Delpech, le travail avec l'actrice-vedette Véronique Jannot, « très gentille et plutôt bonne élève, compte tenu du peu de temps qui nous était imparti, pour apprendre à tenir un laryngoscope et un stéthoscope, ou à donner un ordre à l'équipe soignante ».
« Quelques erreurs grossières ont quand même été rectifiées au vol, poursuit le médecin : on a changé le scope sur lequel on voyait des images d'ischémie alors qu'on parlait de fibrillation ventriculaire. Mais mes interventions sont toujours restées mineures. Ainsi, quand je relevais des incongruités dans le dialogue, on m'opposait que c'était trop tard, que les acteurs savaient leur texte par cur et qu'une modification de dernière minute les aurait déstabilisés. »
Un réquisitoire contre la profession
Notre urgentiste habitué à opérer dans le feu de l'action a dû, en prime, s'adapter au fastidieux tempo des journées de tournage : « Que de longueurs ! Que de temps perdu entre deux prises ! », se lamente-t-il. Et, comme si cela ne suffisait pas, il a découvert sur les sites de tournage le parti pris du scénario que la production s'était bien gardé, naturellement, de lui signaler : « L'héroïne est une urgentiste brillante comme il se doit, qui, à la suite d'un accident de voiture, se retrouve dans le rôle d'une patiente et prend tout à coup conscience des insuffisances de ses confrères, et donc des siennes : manque de temps, manque d'humanité, manque de cur des urgentistes. S'ensuit un réquisitoire en règle contre la profession et, au bout du compte, toute une série d'interrogations existentielles que jamais aucun urgentiste ne s'est posé, sauf à être lui-même mentalement perturbé ! »
Aussi bien la production n'a-t-elle pas hésité à réserver à ces médecins de l'urgence un traitement approprié : comme le SAMU lui avait prêté gratuitement ambulances et matériels qu'elle aurait dû louer ailleurs au prix fort, elle s'est royalement fendue, pour tout remerciement, d'un téléviseur petit écran made in Corée, dont la facture, retrouvée au fond du carton, n'excédait pas 2 000 F.
Le scénario complètement revu
L'autre urgentiste mise à contribution pour le plus grand plaisir des téléspectateurs de TF1 a opéré pour sa part sur la relecture du scénario. « C'était il y a plusieurs années, se souvient le Dr Agnès Suc. Mes corrections sont intervenues à un stade très préliminaire et les modifications par la suite ont été telles que je ne peux assumer quoi que ce soit dans la version finale. Du reste, à l'origine, il n'y avait pas réellement une charge contre les urgentistes. Certes, l'histoire montre que les malades ne sont pas traités comme ils le devraient, mais c'est parce que les médecins ne disposent pas des moyens pour travailler dans des conditions humainement satisfaisantes. Par la suite, le scénario a été complètement revu. »
La suite, de toute manière, n'intéresse guère le Dr Suc, bien trop sollicitée ces temps-ci par les urgences de sa ville, après la catastrophe d'AZF, pour avoir ni le temps, ni l'envie d'être ce soir devant sa télévision.
L'expérience, dans ces conditions, doit-elle être déconseillée aux confrères qui viendraient, à leur tour, à être sollicités par une chaîne ? Le Dr Delpech se garde de trancher, mais il invite à « poser fermement ses conditions : il faut demander à lire le scénario dans son intégralité et il faut vérifier les moyens existant pour reconstituer les décors et bénéficier d'un matériel digne de ce nom. A défaut d'un minimum, mieux vaudrait décliner les offres apparemment alléchantes ».
Des séries à succès
Les séries médicales semblent, quoi qu'il en soit, avoir le vent en poupe. A TF1, « Le grand patron », avec Francis Huster, poursuit sa carrière, avec un troisième épisode qui vient d'être monté. Pour France Télévision, Sandrine Bonnaire va tourner trois nouveaux épisodes de « Une femme en blanc ». Et le « Docteur Claire Bellac » regarde l'avenir avec optimisme. Comme on dit à la direction de la chaîne privée, « ça change des polars et ça attire autant de téléspectateurs ».
Alors, racoleuses les télés qui programment de plus en plus volontiers les fictions médicales ? « Disons simplement que notre métier attire le grand public, observe le Dr Lorraine Fouchet, elle-même auteur du livre « De toute urgence », qui a été porté au petit écran l'an dernier par France 2. Les chaînes, qui sont constamment à l'affût de héros récurrents, ont tout naturellement pris l'habitude de bâtir des fictions autour des blouses blanches, comme naguère elles multipliaient les séries policières. Mais la recherche du grand public et d'une large audience n'est pas forcément synonyme de complaisance et de racolage ».
*3 000 F nets par journée de tournage
De l'urgence à la médecine générale
« Chef d'un département anesthésie et réanimation dans un hôpital, Claire Bellac a tout de la femme accomplie, précise le résumé publié dans « TF1 magazine ». Médecin urgentiste réputée, elle partage sa vie entre son métier, son amant, chef du service chirurgie et son fils Sébastien, étudiant en médecine. Claire sauve des vies sans trop se soucier de la psychologie des malades. Un jour, elle prend la route pour se rendre à un congrès à Genève. Toujours pressée, elle est imprudente et sa voiture heurte un arbre de plein fouet. Claire se retrouve bientôt à l'hôpital, sur un brancard laissé dans le couloir, entre deux portes. Choquée et le visage en sang, elle attend qu'on veuille bien s'occuper d'elle, tout en essayant de remonter un drap sur sa poitrine. Aucun médecin ne lui prête attention. Personne ne la regarde. Une infirmière commente : "C'est vrai que vous êtes tous pareils..." Une fois remise de ce traumatisme, Claire qui n'a plus les nerfs pour continuer à exercer de cette manière, décide de reprendre un cabinet de médecine générale afin de soigner de façon plus humaine... »
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