Fibrillation auriculaire héréditaire : la mutation d'un canal potassium

Publié le 09/01/2003
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La fibrillation auriculaire est une arythmie cardiaque fréquente, affectant 5 % des personnes âgées de plus de 65 ans. Caractérisée par une activité auriculaire anarchique sans onde P visible sur l'ECG, la FA est source de thromboembolie, de cardiomyopathie, d'insuffisance cardiaque et d'arythmie ventriculaire.

Son étiologie moléculaire demeure mal comprise. Une FA permanente (par opposition à paroxystique) peut être liée au remodelage électrique de l'oreillette.
La FA peut aussi survenir de façon familiale, et l'identification de ses causes génétiques pourrait aider à mieux comprendre quelle est la base moléculaire de la FA, voire suggérer des approches thérapeutiques pour les formes, héréditaires, mais aussi acquises (plus courantes) de FA.
Un locus de FA héréditaire a déjà été localisé sur le chromosome 10, il y a cinq ans, grâce à l'étude de trois familles (« New England Journal of Medicine », 1997).
Dans ce contexte, une équipe composée de chercheurs chinois et français (S. Bendahhou et J. Barhanin, CNRS, Sophia Antipolis) a découvert pour la première fois une mutation génétique responsable de FA. Cette mutation affecte le gène KCNQ1 sur le chromosome 11.
Ce succès de l'équipe, fruit d'un effort de trois ans, tient à l'étude d'une grande famille chinoise, couvrant quatre générations, qui est affectée d'une rare forme héréditaire autosomique dominante de FA. Parmi les quarante-quatre membres vivants de cette famille, seize sont affectés de façon héréditaire de FA permanente.
Pour leur étude, l'équipe a suivi une démarche tout à fait classique. Elle a effectué auprès de la famille une analyse de liaison génétique en dépistant tout le génome. Ce qui a permis de localiser le locus de la FA sur une petite région du chromosome 11 (11p15.5). Dans cette région se trouvait un gène candidat tout désigné, le gène KCNQ1.
En effet, ce gène code pour une sous-unité de certains canaux potassium dans le cœur (KCNQ1/KCNE1, KCNQ1/KCNE2 et KCNQ1/KCNE3). Ces canaux contrôlent le mouvement des ions potassium chargés à travers la membrane cellulaire, un mouvement qui influe sur l'activité électrique des myocytes.
Des mutations de KCNQ1, qui entraînent une perte de fonction des canaux K, sont responsables, on le sait, de troubles cardiaques, comme le syndrome du QT long, caractérisé par un intervalle QT prolongé, des syncopes et une mort subite par arythmie ventriculaire.
Les chercheurs ont analysé la séquence du gène KCNQ1 chez les membres de la famille. Bien leur en a pris ; ils ont effectivement découvert une mutation spécifique (substitution 140G) chez tous les membres affectés de FA, mais absente chez les membres non affectés.
Ils ont ensuite analysé l'effet de ce gène muté dans des cellules en culture. Cette mutation S140G du gène KCNQ1, ont constaté les chercheurs, confère un gain de fonction aux canaux KCNQ1/KCNE1 et KCNQ1/KCNE2, et multiplie ainsi par trois à six la densité de courant à travers ces canaux. En quelque sorte, cette mutation garde le canal potassium ouvert, alors que la mutation KCNQ1 du syndrome du QT long fait l'opposé en fermant le canal.

Réduction de la période réfractaire

« Ainsi, donc, la mutation S140G a toutes les chances d'initier et de maintenir la FA, en raccourcissant la durée du potentiel d'action et en réduisant la période réfractaire dans les myocytes de l'oreillette », précisent les chercheurs.
Des études supplémentaires, dans un modèle animal de mutation S140G ou portant sur le profil d'expression génique, devraient apporter plus d'éclaircissements sur les déterminants moléculaires de la FA.
« Nos résultats démontrent comment les divers comportements fonctionnels d'un seul canal à ions peuvent produire des troubles cardiaques distincts », remarquent-ils. Un autre exemple connu est celui du gène SCN5A, le gène d'un canal sodium, dont les mutations sont associées au syndrome du QT long, au syndrome de Brugada et à la maladie de la conduction cardiaque.
Enfin, déclarent-ils, « le rôle inattendu de KCNQ1 dans la production de la FA suggère que des bloqueurs du canal potassium I(Ks) pourraient offrir un bénéfice thérapeutique pour un sous-groupe de patients atteints de FA ».

« Science » du 10 janvier 2003, p. 251.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7249