Feuilles de soins en souffrance : les médecins dénoncent l'incurie de l'assurance-maladie

Publié le 17/05/2001
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P OUR la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, c'est la carte Vitale qui permettra à la Sécurité sociale de sortir de l'ornière des 15 millions de feuilles de soins papier en souffrance, source de retards dans les remboursements, qui constituent, selon elle, « une gêne tout à fait considérable ». Lors de la séance des questions à l'Assemblée nationale, Elisabeth Guigou a en effet déclaré aux députés : « Il faut le dire autour de vous, dans vos permanences, dites à vos visiteurs "Utilisez la carte Vitale, vous serez immédiatement remboursés, en quelques jours, c'est fait".  »

Pour les syndicats médicaux, en revanche, la carte à puce Vitale servant à la télétransmission des feuilles de soins électroniques (FSE) est loin d'être la panacée. Ils estiment que les médecins libéraux n'ont pas à endosser la responsabilité des retards des remboursements, sous prétexte qu'ils ne télétransmettent pas assez de FSE, notamment à Paris. Dans la capitale, en effet, seulement 40 % des médecins généralistes et 15 % des spécialistes utilisent Vitale à la date du 9 mai, alors qu'au niveau national, 69 % des généralistes en moyenne et un tiers des spécialistes le font déjà.

« Une intoxication de la CNAM »

« Elisabeth Guigou est victime d'une intoxication de la CNAM [Caisse nationale d'assurance-maladie, NDLR] qui assure que l'électronique marche très bien, affirme le Dr Bernard Huynh, président du syndicat CSMF de Paris et de l'union régionale des médecins libéraux d'Ile-de-France. Or, maintenant, qu'il y a une montée en charge de la télétransmission sur Paris, on voit les réclamations et les erreurs se multiplier. »
Face à « l'incompétence » des agents de la Caisse primaire d'assurance-maladie confrontés à la mise en place progressive d'un nouveau logiciel, le Dr Huynh suggère que la gestion des remboursements d'actes soit déléguée aux professionnels « qui gèrent les cartes bancaires ».
Pour le Dr Régis Mouriès, président du Syndicat des médecins libéraux (SML) parisien, Vitale ne résout pas tout, d'autant que « toutes les conditions techniques de la télétransmission ne sont pas réunies », d'où le mot d'ordre de grève relancé jusqu'au 9 juillet par le SML. A la Sécurité sociale, « ils sont incapables de s'adapter à la technique qui elle-même évolue », souligne le Dr Mouriès.

Tiers payant : trois ou quatre mois de retard

Compte tenu des stocks de feuilles de soins à la CPAM de Paris, le Dr Mouriès constate « un retard de trois ou quatre mois » pour les remboursements aux médecins des actes en tiers payant dispensés aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU). « Certains spécialistes avec un plateau technique lourd ont 600 000 F dehors ou plus, ce qui met en péril les entreprises médicales », ajoute le président du SML local.
« On fait peser sur les médecins le poids de toutes les misères de la Sécurité sociale », déplore pour sa part le Dr Philippe Gripon, président de la Chambre syndicale des médecins de Paris, affiliée à la Fédération des médecins de France (FMF). Le Dr Gripon se souvient que « depuis vingt ans, dans les différentes caisses, les remboursements de tiers payant ont régulièrement connu des retards pouvant atteindre trois mois ». Il fait aussi remarquer que le recours à Vitale n'empêche pas, parfois, l'absence de règlement. « Aucune entreprise privée ne pourrait se permettre de tels délais avec ses clients. Elle sauterait à tous les coups », conclut le Dr Gripon. Le Dr Philippe Sopéna (MG-France) estime, pour sa part, que si la CNAM était une entreprise privée, son directeur, Gilles Johanet, aurait depuis longtemps démissionné ou été démissionné face à cette incurie. Et il se demande comment avec « 1 400 agents de plus », la Sécurité sociale est incapable de traiter un nombre de feuilles de soins papier en diminution.
Si les dossiers papier s'entassent dans les caisses, ils sont malgré tout minoritaires, puisqu'ils représentent aujourd'hui 42 % de la totalité des demandes de remboursements de soins. Le reste est en effet soit télétransmis par FSE au moyen de la carte Vitale (16 % des demandes de remboursement), soit transmis par d'autres types d'échanges informatisés établis entre les caisses et les professionnels de santé.

400 000 F d'actes en tiers payant toujours pas remboursés à un radiologue

Le Dr Michel Jarlaud, radiologue à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), a en ce moment « 400 000 F dehors » en raison des retards de remboursement de ses actes effectués en tiers payant, car 70 % de sa clientèle sont à la CMU. Et pourtant, il s'était mis à la télétransmission en mai 2000.

LE QUOTIDIEN - Comment les retards de remboursement des caisses affectent-ils votre activité ?
Dr MICHEL JARLAUD
- Depuis un mois et demi, j'ai dû arrêter la télétransmission car les FSE [feuilles de soins électroniques, NDLR] restaient bloquées dans l'ordinateur, du fait d'un problème de logiciel. Depuis, je n'ai fait que des feuilles de soins papier. La caisse primaire du 93 a beaucoup de retard. Il faut compter entre un mois et demi et deux mois avant d'être remboursé. J'ai en ce moment environ 400 000 F dehors qui concernent des actes effectués en tiers payant et pour lesquels j'attends donc un versement de l'assurance-maladie. 70 % de mes patients sont en effet bénéficiaires de la CMU. En fait, même quand la télétransmission fonctionnait, il y avait des problèmes.

Lesquels ?
Nous avons eu beaucoup de problèmes avec les FSE depuis que nous nous sommes informatisés en mai 2000. De façon aléatoire, certains examens radiologiques ne sont pas remboursés à l'intérieur d'un même lot de FSE. Des dossiers se perdent, on ne sait pas pourquoi. Ma comptabilité est fausse, car je ne peux pas pointer l'ensemble des actes remboursés ou non. En effet, je ne reçois plus comme avant de bordereaux listant les actes remboursés ; pourtant, la Sécurité sociale avait promis de continuer à nous faire parvenir ces bordereaux. Cela oblige à faire des recherches.
Et puis, des examens liés à des accidents du travail ne me sont pas remboursés après télétransmission. Ce n'est pas normal. Beaucoup d'accidents du travail, qui remontent à janvier-février, voire jusqu'à août ou septembre 2000, n'ont pas été encore remboursés.

Agnès BOURGUIGNON Propos recueillis par Agnès BOURGUIGNON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6920