REUVEN FEUERSTEIN, pédagogue israélien, a travaillé, lors de la création de l’Etat d’Israël, à récupérer ceux qu’il appelle les enfants des cendres, rescapés de la Shoah. Ces enfants, après tests psychométriques, présentaient des retards de développement intellectuel de trois à six ans par rapport à leur âge. Si les tests mesurent les connaissances de l’enfant, Reuven Feuerstein s’aperçoit qu’ils ne permettent pas de mesurer leur capacité d’apprentissage. Ils ne permettent pas de répondre à la question que l’on se pose alors : «Ces enfants seront-ils capables d’être éduqués après les grands traumatismes qu’ils ont vécus, après la perte de leurs parents et de leur enfance dans les camps de concentration?» Il importait donc de débloquer le processus intellectuel et émotionnel permettant aux enfants et aux adolescents d’acquérir des connaissances.
Feuerstein est convaincu que l’on peut apprendre à apprendre. Quel que soit le handicap, quel que soit l’âge, l’individu est «modifiable». Sa théorie de la «modifiabilité», qu’il qualifie d’essentiellement optimiste, a pour postulat central la «propension de l’être humain à modifier sa structure cognitive et par cela son niveau de fonctionnement mental, émotionnel, intellectuel et comportemental».
Paradoxalement, le cas des surdoués aide à comprendre la démarche : «Comment expliquer les surdoués en situation d’échec, interroge-t-il , ces enfants ne se sont jamais confrontés aux difficultés; ils résolvent les problèmes sans y penser. Ils n’ont jamais eu à faire face, ils n’ont pas appris à développer des stratégies, ils n’ont pas acquis de modalités d’apprentissage.»
Feurstein a élaboré une méthode (programme d’enrichissement instrumental) qui consiste à créer chez tous ceux qui présentent un immobilisme intellectuel les conditions physiologiques et psychologiques leur permettant de faire face de manière autonome aux différents événements auxquels ils seront confrontés dans la vie.
Les programmes de l’institut consacrés aux enfants handicapés cherchent à favoriser l’insertion de ces enfants dans le circuit scolaire traditionnel. «Pour vraiment atteindre notre but par l’intégration, il faut préparer l’enfant. Il doit arriver à l’école avec des habitudes, des modalités de pensée, des stratégies d’apprentissage. Beaucoup d’enfants ont besoin d’interventions intensives, surtout ceux qui ont de grandes déficiences mentales au niveau sensoriel, linguistique, communicationnel... Ces enfants ont besoin d’une activité individuelle intensive.»
L’apprentissage médiatisé.
Comme Piaget dont il fut l’élève, Feuerstein affirme que l’intelligence se construit et qu’on apprend en agissant. Il va plus loin en affirmant que les capacités cognitives ne sont pas figées mais évoluent en fonction de l’environnement socioculturel. Il insiste sur l’interaction entre l’affectif et la cognition en introduisant le « médiateur » et la notion d’« apprentissage médiatisé ». C’est la manière dont le pédagogue prend en compte l’enfant qui fonde la méthode.
Le médiateur est celui qui a changé de regard, qui ne regarde pas l’enfant par rapport à des normes mais par rapport à lui-même, explique Sylvie Bori, psychologue clinicienne formée à la méthode Feuerstein. «Il organise le microenvironnement dans lequel il intervient, de façon que la nouveauté, l’étrangeté de l’activité proposée, déclenche un déséquilibre chez l’enfant. Nous partons de ce déséquilibre pour voir sur quoi nous allons pouvoir nous appuyer et sur quoi l’enfant va pouvoir le faire. A la suite du succès obtenu avec des enfants présentant un retard mental, Feuerstein s’est consacré à l’insertion des trisomiques légers dans la société. «Les résultats obtenus en Israël semblent dépasser toutes les espérances, écrit David Khayat, dans sa préface. Certaines de ces personnes sont, aujourd’hui, auxiliaires dans l’armée ou dans des maisons pour personnes âgées.» Ses équipes travaillent aujourd’hui à mettre sur pied des programmes adaptés aux autistes.
Les concepts et les méthodes d’apprentissage du Pr Feuerstein sont utilisés en Israël dans un grand nombre de domaines : l’intégration sociale des enfants issus des différentes vagues d’immigration, des adultes aussi, afin de réussir leur réintégration dans le travail, la prise en charge de personnes atteintes de graves lésions cérébrales...
«Nous voulons réfléchir à cette expérience, qui constitue incontestablement une richesse pour Israël, explique le Pr Khayat. Peut-elle nous aider, compte tenu de nos spécificités, à avancer ici et maintenant?»
Le PEI (programme d’enrichissement instrumental) est assez connu en France. Il a été diffusé, dans les années 1980, notamment par des universitaires de Paris-V, comme Rosine Debray (psychiatre), Alain Moal (maître de conférences en psychologie). «Il est intéressant que les résultats en soient parfois discutés, mais il a permis à des maîtres exerçant dans des contextes particulièrement difficiles de reprendre courage», conclut David Khayat.
* « La Pédagogie à visage humain, la méthode Feuerstein », Reuven Feuerstein, Antoine Spire, Le bord de l’eau éditions, 168 pages, 15 euros.
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