Il risquait jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour avoir menti sur ses liens avec le groupe Total lors d'une audition par une commission sénatoriale.
Finalement, la procureure n'aura requis qu'une amende de 30 000 euros contre Pr Michel Aubier, ancien chef du service de pneumologie à l'hôpital Bichat (Paris), aujourd'hui à la retraite, pour faux témoignage sous serment. La procureure n'a pas manqué de relever une « certaine désinvolture qui confine au sentiment d'impunité ».
C'est seulement après 4 heures d'audience à la 31e chambre correctionnel de Paris que le Pr Aubier a pu être entendu, son avocat Me François Saint-Pierre ayant contesté au début de la réunion plusieurs points de procédure, dont une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) rejetée par le tribunal.
100 000 euros par an
Le Pr Aubier assure qu'il était « absolument de toute bonne foi », lorsque le 16 avril 2015 devant la commission sénatoriale qui le recevait pour évoquer le « coût économique et financier de la pollution de l'air », il avait déclaré n'avoir « aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques ». « Je reconnais que j'ai fait une erreur », a-t-il admis.
En effet, le pneumologue était employé comme médecin-conseil d'abord par Elf Aquitaine puis par Total depuis 1997. L'enquête a révélé qu'en 2012, 2013, 2014 et 2015, il avait touché près de 100 000 euros par an de la part du géant pétrolier et qu'il a également reçu des actions dans le cadre d'un plan d'épargne salariale. La présidente du tribunal a indiqué que cette somme représentait « presque » la moitié des revenus déclarés annuellement par le Pr Aubier – un peu plus de 200 000 euros. Le contrat de travail avec Total – qui comprenait une voiture de fonction – prévoyait « neuf demi-journées par mois » d'activité dans l'entreprise. Le médecin siégeait au conseil d'administration de la « Fondation Total », une activité non rémunérée.
Le Pr Aubier explique par ailleurs avoir fait une confusion entre la notion de « lien d'intérêt » et de « conflit d'intérêts ». Il considérait alors qu'il « n'y avait aucun conflit d'intérêts » entre une intervention devant une commission sénatoriale consacrée à la pollution et une fonction relevant de la médecine du travail auprès de Total. Il a rappelé qu'il n'avait accepté cette intervention pour « rendre service » au patron de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, qui était empêché. L'AP-HP s'est d'ailleurs porté partie civile tout comme le Sénat et 3 ONG, Écologie sans frontières, Générations futures et Le rassemblement pour la planète.
« Comment peut-on dire, quand on a l'expérience et la culture du Pr Aubier, qu'on n'a pas compris la question » posée par les sénateurs ? s'est d'ailleurs interrogé Me Xavier Normand-Bodard, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Pas le procès des « conflits d'intérêts »
Pour sa défense, le Pr Aubier assure que le lien avec Total n'a pas eu d'influence sur le contenu de son audition. Il se défend d'être un « négationniste » en matière de pollution, assurant avoir été « l'un des premiers » à étudier l'association entre le diesel et l'asthme, par exemple.
La présidente précise toutefois que le pneumologue n'est pas poursuivi pour des « conflits d'intérêts », ou pour le contenu de son intervention au Sénat. Ce qui est en cause c'est la non-déclaration de liens avec des acteurs économiques. Des liens qu'il était obligé, rappelle-t-elle, de déclarer, au Sénat mais aussi au quotidien, en vertu d'obligations de transparence pesant sur les professionnels de santé. Outre Total, le Pr Aubier avait des collaborations avec onze laboratoires. S'il n'est pas question de « stigmatiser la double fonction de médecins qui travaillent dans le public et dans le privé », a indiqué la procureure qui reproche au Michel Aubier de déclarer « à la carte » ses collaborations, selon qu'il s'adresse à l'AP-HP, à l'université ou à d'autres instances.
Décision le 5 juillet
Le Pr Aubier estime, lui, avoir payé toute cette affaire « au prix fort ». « Voilà où je me retrouve maintenant », a-t-il soufflé. Aujourd'hui retraité de l'AP-HP, il poursuit ses recherches et continue son activité pour Total, ce qui porte ses revenus mensuels à environ 20 000 euros, retraite comprise.
Le tribunal rendra sa décision le 5 juillet à 13h30. « Nous espérons qu'il ira au-delà » de l'amende requise, bien légère « au regard des sommes perçues », a déclaré à l'AFP Saïfi Nadir, vice-président d'Écologie sans frontière.
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