Le Pr Jean-François Mattei est amer. Il avait rallié toute la classe politique à l'Assemblée, en commission des Affaires sociales, le 12 décembre, à sa proposition de loi visant à rendre caduque la jurisprudence du « droit à ne pas naître » ; et le lendemain, dit-il au « Quotidien », « le gouvernement a utilisé tous les artifices de procédure pour que les députés n'aient pas à se prononcer par vote en séance publique sur mon texte ».
Les ministres concernés n'ont pas pour autant fermé la porte à « une solution législative » au problème de l'indemnisation des handicapés congénitaux.
La ministre déléguée à la Famille et aux Handicapés, Ségolène Royal, a annoncé qu'un amendement du gouvernement au projet de loi sur les droits des malades sera discuté et voté au Sénat au début de l'année prochaine.
Elisabeth Guigou a précisé le sens qu'il convient d'apporter, selon elle, à la future législation. Tout d'abord, devant la représentation nationale, jeudi dernier, elle a tenu à affirmer que les « arrêts de la Cour de cassation indemnisent non le handicap, mais le préjudice qui lui est lié. Ils n'indemnisent pas la naissance. Que ce soit la décision du 17 novembre 2000 (Nicolas Perruche), celles du 13 juillet (trois enfants atteints de malformations non décelées sur échographies), ou encore du 28 novembre (un nouveau-né trisomique) derniers, la Cour ne retient que l'indemnisation du handicap ».
Cela étant, pour la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, « il serait contraire aux droits les plus fondamentaux de considérer que la vie elle-même puisse constituer un préjudice ». Quant à la responsabilité médicale, dans les arrêts cités, « la faute d'un professionnel de santé a été considérée comme avérée par les juges au regard des pratiques médicales considérées comme normales dans la situation en cause ».
Aussi, estime Elisabeth Guigou, le « malaise » des médecins « repose sur l'interprétation qu'ils font des décisions de la Cour de cassation : pour eux, avoir à indemniser le préjudice intégral lié au handicap revient à dire qu'ils sont à l'origine de ce handicap ; c'est toute la question de la causalité du préjudice ». « Le risque professionnel pour ces médecins, poursuit-elle, est lié à la judiciarisation croissante des rapports avec leurs patients qui pourrait les conduire à se protéger en modifiant leur exercice face au diagnostic à l'interruption de grossesse (IG), en adoptant des comportements de précaution et de protection, par exemple conseiller une IG au moindre doute. »
L'obligation d'assurance
En ce qui concerne le risque économique, c'est-à-dire l'augmentation des primes d'assurance, « qui posent des questions légitimes, nous apportons déjà des réponses en légiférant, précise la ministre. Le projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé, que Bernard Kouchner défend devant le Parlement, et qui a été voté en première lecture à l'Assemblée en octobre, contient des dispositions sur la responsabilité médicale. Elles réaffirment l'exigence de la faute, prévoient une obligation d'assurance (permettant de limiter le coût des primes) et créent un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique (...) Sur la question spécifique du diagnostic prénatal et l'information aux patients, nous avons demandé à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), en relation avec les professionnels, d'élaborer un guide des bonnes pratiques ».
Reste les inégalités que soulèvent les décisions de justice type Perruche, au sein même de la communauté des handicapés. A ce niveau, répond la ministre, « les solutions se trouvent dans la solidarité nationale, et en particulier dans la politique sociale en direction des personnes handicapées ». Et « la crainte de voir un jour un enfant se retourner contre ses parents du seul fait de sa naissance » ? « Il ne peut y avoir de faute pour la mère de faire un choix plutôt qu'un autre. Sa liberté d'avorter ou non ne peut être une faute. » « On ne peut pas nier que la jurisprudence (Perruche) crée une certaine zone d'instabilité, admet par ailleurs Elisabeth Guigou. Elle oblige à faire progresser la réflexion et, le cas échéant, aussi la législation, notamment sur la question de la responsabilité médicale face aux handicaps graves incurables et à l'origine desquels aucune faute médicale n'a concouru. Mais attention, des propositions hâtives ne contribuent pas à la qualité du travail législatif, encore moins si les propositions de légiférer n'apportent pas de solution efficace. »
Or, selon elle, la proposition Mattei « soulève plus de questions qu'elle n'enrésout. En interdisant une action en responsabilité du fait de la naissance, elle n'interdit pas une indemnisation telle que l'a décidée la Cour de cassation, qui est l'indemnisation du préjudice lié au handicap ». « La Haute Juridiction pourra continuer à statuer dans le même sens. En deuxième lieu, en interdisant à l'enfant tout recours, et en laissant subsister l'action des parents, des frères et surs, la proposition (Mattei) n'accepte-t-elle pas l'idée que la vie handicapée cause un préjudice à autrui alors que l'on ne reconnaît pas ce même préjudice à la personne handicapée elle-même ». Et, « surtout, estime la ministre, elle ne résout strictement rien quant à l'inquiétude du monde médical et aux risques induits de comportements de précaution ».
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