PAR LE Dr SERGE DOAN*
LES SYMPTOMES de la sécheresse oculaire sont peu spécifiques. Les patients peuvent se plaindre de sensations de corps étranger oculaire, de brûlure, de picotements, de sécheresse, de fatigue oculaire avec envie de fermer les yeux, de prurit, de douleur ou de rougeur oculaire. Au début, il existe souvent un larmoiement paradoxal au vent, au froid, à la lecture ou à la conduite. Une photophobie avec baisse de vision doit faire redouter la présence d’une kératite.
L’examen à la lampe à fente peut retrouver une diminution du lac lacrymal et une hyperhémie conjonctivale. La présence de filaments ou d’une kératite ponctuée superficielle est un signe de gravité.
Le temps de rupture des larmes est souvent diminué (< 10 secondes), témoignant d’une instabilité du film lacrymal. Le test de Schirmer sans anesthésie est spécifique d’un sydnrome sec par hyposécrétion s’il objective une production de larme inférieure à 5 mm de papier buvard imprégné en cinq minutes. Ce test n’est hélas que peu sensible et peu reproductible.
Le test aux colorants vitaux utilisant fluorescéine, rose Bengale ou vert de lissamine permet d’évaluer la souffrance des cellules épithéliales cornéennes et conjonctivales et ainsi de grader la sévérité du syndrome sec.
L’examen du bord libre palpébral à la recherche d’une blépharite est un temps important car le traitement sera différent. On recherchera des télangiectasies du bord libre, une anomalie du meibum qui est visqueux et blanchâtre, des bouchons kératinisés au niveau des méats des glandes de Meibomius, des collerettes à la base des cils (qui évoque plutôt une blépharite séborrhéique) et des antécédents de chalazions. Le temps de rupture des larmes est diminué alors que le test de Schirmer peut être normal, puisqu’il s’agit là d’une sécheresse qualitative par hyperévaporation. Il faut également rechercher au niveau du visage une rosacée cutanée ou une dermite séborrhéique qui sont souvent associés à la blépharite.
Faut-il traiter les patients présentant une sécheresse oculaire modérée ? Pas obligatoirement, si la demande du patient est nulle et que la clinique est rassurante. Si l’interrogatoire a permis de discerner des facteurs environnementaux ou médicaux aggravants ou déclenchants, de simples mesures environnementales et/ou d’hygiène de vie peuvent être suffisantes. Les médicaments anticholinergiques comme les psychotropes doivent être recherchés et si possible arrêtés. L’évaluation des conditions de travail (travail sur écran, climatisation, conduite, voyages en avion) peut permettre leur aménagement, ou au moins l’accentuation de la lubrification oculaire dans ces environnements.
Signes et symptômes souvent dissociés.
L’expérience montre que les symptômes et les signes de sécheresse oculaire peuvent être paradoxalement très dissociés : certains patients peuvent avoir des plaintes fonctionnelles majeures alors que l’examen clinique est quasiment normal, alors que d’autres peuvent présenter une kératoconjonctivite sèche dans le cadre d’un syndrome de Gougerot-Sjögren et ne se plaindre que de quelques picotements.
Faut-il traiter les patients présentant des signes fonctionnels importants, alors que l’examen clinique est presque normal ? Une évaluation du retentissement du syndrome sec sur la vie du patient doit être réalisée, car nous avons souvent tendance à minimiser ce retentissement. Baudouin et coll. ont développé et évalué un questionnaire de qualité de vie pour les patients atteints de pathologie de la surface oculaire (« J Fr Ophtalmol » 2003 ; 26 : 119-130). Les résultats méritent que nous reconsidérions notre vision de la sécheresse oculaire qui n’est pas une maladie si anodine pour le patient, même si les signes cliniques sont souvent dissociés par rapport à la plainte fonctionnelle. Dans cette étude, les patients décrivent un état de fatigue lié à leur pathologie oculaire dans 50 % des cas, se réveillent avec un sentiment de dépression dans 15 % des cas, et 50 % ont peur d’avoir des séquelles visuelles. Regarder la télévision est un problème important dans 21 % des cas, travailler sur écran dans 36 %. Le maquillage a dû être abandonné par 55 % des femmes. La maladie est souvent sous-estimée par l’entourage dans la moitié des cas. Ainsi, la prise en charge psychologique des patients souffrant de sécheresse oculaire apparaît aussi importante que le traitement pharmacologique. Elle est probablement d’autant plus déficiente que les signes cliniques sont modérés. Le fait de prescrire un traitement de la sécheresse est aussi une façon de considérer la maladie du patient. Les lubrifiants (sérum physiologique, dérivés de l’alcool polyvinylique, dérivés de la cellulose, carbomères fluides) ou les suppléments alimentaires sont une bonne indication dans ces formes modérées. En cas de blépharite associée, des soins des paupières, voire une antibiothérapie orale par cyclines, seront prescrit.
Evaluer le potentiel évolutif.
Il faudra bien évaluer le potentiel évolutif de la maladie oculaire, en recherchant la cause primitive du syndrome sec. En effet, un syndrome sec initalement modéré peut n’être qu’une phase de début d’une forme sévère. Les sécheresses évaporatives par blépharite ou les sécheresses involutives par atrophie des glandes lacrymales postménopausiques resteront le plus souvent modérées. En revanche, un syndrome de Gougerot-Sjögren évoluera le plus souvent vers une forme sévère avec kératoconjonctivite sèche. C’est pourquoi il faut au moindre doute, surtout devant une patiente jeune ou une sévérité particulière du tableau clinique, demander un bilan d’auto-immunité recherchant en particulier les anticorps anti-SSA et SSB (spécifiques du Sjögren), ainsi que d’autres marqueurs de maladies pourvoyeuses de Sjögren secondaire, comme la polyartrhite rhumatoïde ou le lupus.
Faut-il traiter un syndrome sec avec signes cliniques sévères mais peu de symptômes ? Certainement. En effet, la souffrance chronique de la surface oculaire induit progressivement des altérations irréversibles qui amèneront une dégradation de la maladie : une kératinisation conjonctivo-cornéenne, une perte des cellules à mucus, une inflammation chronique. Les complications infectieuses sont également plus fréquentes dans ces formes. Le traitement des formes sévères est fondé sur l’acide hyaluronique surtout, mais aussi sur les carbomères à forte concentration, les corticoïdes locaux, la ciclosporine en collyre, le sérum autologue, les cyclines orales, les bouchons méatiques, les lunettes à chambre humide et les sécrétagogues (pilocarpine orale).
En conclusion, une évaluation précise des signes et des symptômes de sécheresse, de la cause et du retentissement sur la qualité de vie du patient permettra de guider au mieux la décision thérapeutique. Dans les formes peu sévères, les mesures environnementales et les larmes artificielles de faible viscosité suffiront le plus souvent.
* Hôpital Bichat et fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild, Paris
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