DE NOTRE CORRESPONDANTE
Les 9es Journées nationales des centres spécialisés de soins aux toxicomanes en milieu pénitentiaire ont été organisées à Marseille par le centre des Baumettes, sur le thème « Punir ou soigner aujourd'hui ». Une partie des débats a tourné autour de la médicalisation abusive des conducteurs en état d'ébriété.
« Je suis effrayée par l'accélération des peines d'emprisonnement pour conduite sous l'emprise alcoolique, même s'il n'y a pas eu d'accident ; les juges cognent de plus en plus et cela ne sert à rien : quand ils ressortent, ils ont perdu tous leurs liens sociaux, leur insertion professionnelle, et n'ont plus qu'à replonger dans l'alcool », explique Mme Scelles, juge de l'application des peines à Marseille, qui participait aux débats. Pour elle, « le traitement judiciaire de l'alcool au volant est inadapté ». Elle pose notamment cette question : « La loi prévoit l'obligation de soins, mais un juge peut-il poser un diagnostic médical sur des personnes, sans risquer de se tromper ? » En ce qui la concerne, elle préfère conseiller à l'accusé de « faire le point avec un médecin, pour savoir s'il a ou non un problème avec l'alcool ».
Obligation de prise en charge.
Les médecins ont eux aussi dénoncé cette tendance des juges « à coller de plus en plus facilement l'étiquette d'alcoolique » à des auteurs d'infractions routières. « On voit des alcoolisés non dépendants qui ne sont pas demandeurs de soins, qui ne sont pas malades au sens alcoolique, pour lesquels le juge demande une "obligation de soins" alors que nous n'avons rien à leur dire », témoigne un médecin de Fleury-Mérogis. Ce à quoi d'autres médecins répondent : « Nous avons une obligation de prise en charge, pas forcément de soins, et nous avons de toute façon une mission de santé publique, d'information et de prévention. »
Dans le cadre de la préparation à la sortie de prison, certains organisent donc des séances d'information sur l'alcool, de façon à préparer une demande de soins ultérieure.
Les soins dits « appropriés » sont parfois demandés par un condamné à une peine de prison parce qu'il espère obtenir une réduction de peine (ce qui est une mauvaise motivation aux yeux des médecins), mais le plus souvent, ils sont ordonnés par le juge pour être réalisés à l'extérieur : soit immédiatement (le prévenu étant laissé en liberté sous contrôle judiciaire incluant l'obligation de soins), soit après une peine de prison, prolongée par une mise à l'épreuve incluant l'obligation de soins.
Le Dr Danièle Casanova explique qu'au centre de cure ambulatoire en alcoologie de l'hôpital d'Arles, où elle exerce, elle constate une recrudescence de personnes lui annonçant d'emblée : « Le juge m'a dit de venir ». Et ils se justifient aussitôt : « On avait fait la fête », « C'était la première fois », « Je bois rarement »... Ce qui est parfois vrai. Mais même si la personne est dans le déni, il est bien difficile, dans ces conditions, de mettre en route une thérapie forcée.
Conférences.
Le Dr Casanova a donc créé, avec trois autres intervenants en alcoologie, un « groupe justice », qui réunit une fois par mois les contrevenants envoyés par la justice, pour une conférence sur l'un des aspects de l'alcoolisation. A l'issue du débat, elle signe la feuille attestant qu'ils ont participé à une action dans ce domaine. Quinze personnes sont admises à suivre ces conférences régulières, et sont rayées de la liste si elles manquent une seule fois ou si elles arrivent en retard. « C'est le meilleur moyen que nous ayons trouvé pour répondre à leur obligation légale de "faire quelque chose", tout en les intéressant au sujet et en leur fournissant une occasion de parler », explique-t-elle. « Ceux qui posent des questions commencent d'ailleurs à limiter leur consommation. Nous proposons des entretiens individuels aux plus intéressés. »
Le Dr Gonnet, alcoologue lyonnais privé, signe lui aussi un certificat à ceux qui participent une fois par mois à une réunion de groupe, « mais si l'un d'eux veut me voir entre deux réunions, cela se fait en tête à tête et sans certificat : cette consultation-là leur appartient ». Pour lui, « l'obligation de soins est une rencontre : à nous de savoir ce qu'on va en faire ». Qu'il s'agisse d'un public judiciaire ou non, il lui apparaît important de délivrer une information permettant à certains de reconnaître une souffrance psychique qu'ils ignoraient et qu'ils camouflent sous l'alcool, même s'ils ne sont pas dépendants : « Cela permet de mettre des mots sur quelque chose. » Quant au regret de non-motivation à se faire soigner émis par plusieurs de ses confrères, le Dr Gonnet tranche : « Si on attend qu'ils soient motivés, ils seront morts. »
A propos de la fonction de la sanction pénale, d'autres intervenants ont reconnu que les individus avaient besoin de la protection de la loi pour leur éviter de « s'écraser contre le mur », mais ont insisté sur le contenu du discours du juge, afin que le client n'ait pas une impression d'injustice... ce qui le conduirait à boire plus encore. Juges et médecins présents dans la salle ont donc conclu à la nécessité, en ce domaine comme en d'autres, de travailler ensemble.
Test national sur la conduite sous l'emprise de la drogue
Le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, a demandé aux préfets de veiller, « en concertation avec les procureurs de la République, à ce que des contrôles fréquents et ciblés soient pratiqués par les forces de l'ordre » en ce qui concerne la conduite sous l'effet de l'alcool ou des stupéfiants. C'est ainsi qu'a été mené en Vendée, au moment des départs pour le week-end de la Pentecôte (nuit de vendredi à samedi), le premier test national sur la conduite sous l'emprise des stupéfiants.
Près de 700 conducteurs ont été contrôlés dans cinq points du département : les tests étaient pratiqués sur place par un médecin, dans des camions de la médecine du travail. Sur une trentaine de dépistages urinaires effectués lors de cette opération, dix-neuf ont révélé la présence de stupéfiants. Ils ont été suivis de prises de sang et si les résultats positifs sont confirmés, des procédures judiciaires seront engagées. Depuis une loi votée en janvier 2003, la conduite sous l'emprise de la drogue était passible de deux ans de prison et de 4 500 euros d'amende. Trente-trois tests d'alcoolémie ont également été pratiqués et vingt-trois se sont révélés supérieurs à 0,80 g/l.
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