Par le Pr Xavier Chevalier*
ON PEUT LEGITIMEMENT se poser la question de savoir combien de temps encore l’arthrose, cette vieille maladie, résistera aux avancées thérapeutiques qui se font jour dans de nombreux domaines de la rhumatologie. Cette déception relative est le fait d’études négatives récentes. La première est une étude qui a été diligentée par le NIH aux Etats-Unis et qui évaluait l’effet symptomatique à six mois de la glucosamine, de la chondroïtine sulfate ou de l’association de ces deux médicaments comparés à un anti-inflammatoire, le célécoxib. Dans cette étude, seul le célécoxib est constamment efficace, mais aucun des autres traitements ne montre un effet antalgique supérieur au placebo, et seule l’association glucosamine-chondroïtines est positive dans un sous-groupe de patients ayant un niveau de douleurs élevé au point de départ. La négativité de cette étude des antiarthrosiques à action lente doit être pondérée par les trois observations suivantes :
1) Il existe une étude européenne, publiée au cours du même congrès (American College of Rheumatology, 2005), utilisant cette fois-ci une autre glucosamine (la glucosamine sulfate), qui est positive au terme de six mois de suivi.
2) L’absence d’effets antalgiques de cette classe thérapeutique avait déjà été notée dans des études de chondroprotection au long cours, aussi bien pour la glucosamine que pour les chondroïtines.
3) Enfin, ces traitements sont essentiellement prescrits à visée chondroprotectrice et, en réalité, la vraie question est de confirmer ou non leur effet protecteur dans des études futures.
En outre, il n’est pas inutile de rappeler que ces médicaments ont, par ailleurs, montré qu’ils avaient effectivement un effet invitro bénéfique sur le cartilage. La seconde déception vient de l’étude négative de l’utilisation d’un inhibiteur de l’IL1 (IL1-Ra) en injection intra-articulaire unique comparativement à une injection placebo chez des patients souffrant de gonarthrose symptomatique, et ce au terme d’un suivi de trois mois. Là encore, il faut sans doute pondérer la déception liée à ce premier essai négatif de biothérapie dans l’arthrose. D’abord, cette voie d’administration a été parfaitement tolérée. En outre, il existait effectivement un effet antalgique le quatrième jour avec la dose la plus forte de l’inhibiteur de l’IL1 (à 150 mg), ce qui sous-entend un effet propre du produit, même si au-delà l’effet était totalement négatif. S’agissant d’un produit à demi-vie très courte, il n’est pas très surprenant d’observer l’absence d’effet antalgique au long cours.
Des objectifs à long terme.
Le mérite de ces études est bien de s’attaquer au fond du problème. Les perspectives dans le domaine de l’arthrose ne sont pas d’obtenir un effet antalgique à court terme, ce que font déjà les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. L’objectif recherché est de ralentir l’évolution anatomique de la maladie.
Ces deux études vont donc permettre de rebondir sur cette question clé. Il est clair que l’avenir appartient à des traitements parfaitement ciblés, à l’instar de ce que font les anti-TNF dans la polyarthrite rhumatoïde. La piste de l’IL1 semble rester une piste intéressante. En effet, cette cytokine cumule, sur le chondrocyte, y compris à doses minimes, des effets stimulants du catabolisme et un effet contemporain inhibiteur des voies anaboliques. Inhiber son activité demeure donc une piste d’avenir en termes de ralentissement de la chondrolyse ; l’IL1-Ra, avec sa demi-vie courte, n’étant probablement pas le produit le plus optimal. Il existe de nombreuses voies de recherche qui utilisent d’autres inhibiteurs de l’IL1, soit par des anticorps monoclonaux, soit par d’autres modalités d’inhibition, comme l’inhibition de l’activation de la Pro IL1 en IL1 bêta active, comme l’utilisation de récepteurs solubles (IL1 « traps », véritables « pièges » à IL1) pratiquée récemment avec succès dans certaines fièvres périodiques. Il existe également des voies de développement dans les rhumatismes inflammatoires, mais qui pourraient intéresser également la pathologie arthrosique, tels les inhibiteurs des voies de la signalisation intracellulaire. On peut également envisager l’utilisation très ciblée d’anti-TNF dans des arthroses ayant un profil plus inflammatoire, comme les arthroses digitales, ce qui est un des objectifs que s’est fixés la section arthrose de la Société française de rhumatologie.
Enfin, stimuler la réparation du cartilage constitue l’autre grande piste à explorer dans les années à venir.
L’injection directe en intra-articulaire de facteurs de croissance n’a pas fait ses preuves, et se heurte au problème de la demi-vie très courte de ces produits et de leur susceptibilité à la protéolyse. En revanche, l’utilisation de peptidoglycanes qui servent à attacher ces facteurs de croissance et à les recruter insitu constitue une voie d’approche originale. Ces modèles sont déjà étudiés en dermatologie. La transplantation de cellules (de type chondrocytes autologues), qui définit l’ingénierie cellulaire, évolue vers le concept de transplantation tissulaire (ingénierie tissulaire) où l’on transplante un greffon fait de cellules et d’une matrice biocompatible, ce qui est déterminant pour la production des composants matriciels. Dans ce domaine, l’utilisation de cellules souches (dont il a été récemment montré qu’elles étaient présentes au sein même de l’articulation) représente un réel espoir thérapeutique. On peut envisager de manipuler génétiquement ces cellules pour leur faire produire plus de facteurs de croissance. Ces derniers pouvant servir comme facteurs anaboliques et comme facteurs de différenciation chondrogénique. Mais les voies de la chondrogenèse sont extrêmement complexes et imparfaitement connues.
Néanmoins, la problématique concernant le traitement de l’arthrose reste difficile et le cahier des charges est paradoxalement plus contraignant que dans les rhumatismes inflammatoires. En effet, un produit doit à la fois démontrer son efficacité invitro et pouvoir accéder invivo aux tissus cibles articulaires, dont le cartilage, qui est un tissu avasculaire. Cela sous-entend de fortes concentrations locales du produit (dans le liquide synovial) et une rémanence de son effet (que l’on peut obtenir par thérapie génique ou par transfert de gènes invivo avec des liposomes, par exemple).
Par ailleurs, l’innocuité du produit doit être vérifiée avant de le prescrire à plus large échelle dans une pathologie bénigne où la demande du patient est purement fonctionnelle. En d’autres termes, on ne peut s’autoriser un quelconque effet secondaire grave.
Il reste donc encore quelques marches à franchir avant d’atteindre le Graal… Néanmoins, la recherche dans l’arthrose est stimulante et nous invite à faire nôtre cette réflexion de Pirandello : «Il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre.»
* Hôpital Henri-Mondor, Créteil.
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