À mon sens la vraie question est : faut-il ressusciter la médecine libérale ou accepter d’en annoncer le décès ? Car il est inutile de « réinventer » une chose dont la définition est évidente.
En effet l’exercice libéral porte sa définition dans son nom. C’est la liberté. Liberté pour un praticien d’exercer son métier où il le désire. Liberté de choisir ses horaires de travail. Liberté d’exercer sous la forme qu’il veut. Liberté de se faire rétribuer (honorer) pour le service rendu, à la hauteur de ses mérites et en fonction de sa compétence.
Bien entendu cette liberté s’exerce à l’intérieur de règles, déontologiques, économiques, pratiques, géographiques. Ainsi la notion d’exercice libéral n’a pas besoin d’être réinventée pas plus qu’il ne faut réinventer la définition du libéralisme.
À mon sens la question est « faut il ressusciter l’exercice de la médecine sur un mode libéral ». Car il est à l’agonie et seuls la maintiennent en survie l’acharnement thérapeutique des leaders syndicaux dépassés et les politiques sans audaces des énarques et des élus. Cet état de coma dépassé est la conséquence de l’absence de choix politique entre un système totalement nationalisé d’une part, et un système totalement privé d’autre part.
Tout vient de ce qu’il existe une contradiction profonde à vouloir assurer un service de santé accessible à tous les Français, qui soit le plus équitable possible, qui soit permanent, qui couvre le territoire de façon à répondre aux besoins définis par la chose publique, donc de nombreuses contraintes d’ordre politiques (au sens premier de ce mot), tout ceci en faisant appel à des médecins dont le mode d’exercice est, par essence du terme libéral, affranchi de contraintes. Pour résoudre cette contradiction entre l’objectif et la nature des ressources employées il a fallu restreindre les libertés et c’est ainsi qu’aujourd’hui la médecine libérale n’a plus de libéral que le nom.
Ainsi de toutes les libertés qui en étaient l’essence, la première à avoir disparu est la liberté tarifaire. Avec le conventionnement et le torpillage du secteur 2 le premier membre de l’exercice libéral était amputé au nom du maintien de l’équilibre d’un service public, l’assurance-maladie.
L’autre liberté, le choix de son temps de travail, sera bientôt à ranger au rang des souvenirs. Déjà la permanence des soins impose des contraintes de temps. Certes la PDS est basée sur le volontariat mais l’étude présentée par l’Ordre montre une tendance à l’érosion, et pour assurer le service public on peut contraindre un « libéral » à travailler contre son gré par la force de la réquisition. Le coup définitif sera porté quand il ne sera plus possible de s’absenter sans l’agrément d’une autorité supérieure (ARS ou conseil de l’ordre). Il n’y a pas beaucoup d’effort à faire pour imaginer que comme pour tout employé d’une entreprise ou d’une administration, un jour viendra où le nombre de jours de congés sera fixé et la période de vacances sera définie par une autorité supérieure au nom du service public.
Enfin, et bien que cela soit retardé de quelques années, un jour viendra ou la liberté du choix du lieu d’installation sera aussi victime des nécessités de service public (égalité d’offre de soin sur le territoire). Les nouveaux diplômés seront contraints de s’installer là où l’autorité supérieure (l’ARS ?) l’aura décidé.
Et à force d’amputer, liberté tarifaire, liberté de choix du temps, liberté d’installation… l’exercice libéral est mort ou du moins est-il en coma dépassé et seul manque le courage politique d’interrompre la réanimation.
Ainsi en final nous avons un mode d’exercice où nous avons toutes les contraintes du salariat et tous les inconvénients du libéral pour n’avoir aucun des avantages des deux systèmes et il est certain qu’il faut rechercher dans cette situation la cause de la désaffection des jeunes médecins pour l’installation. S’ils préfèrent exercer la médecine salariée ce n’est probablement pas la peur de l’exercice en cabinet isolé qui est en cause, puisque le remplacement reste encore prisé. Il faut probablement y voir le besoin d’un mode de rémunération différent, qui ne soit pas lié au nombre d’actes quel que soit le contenu. Un mode de rémunération qui motive la recherche de qualité et la pratique d’une médecine à haute valeur ajoutée plutôt que le volume. Un mode de rémunération qui ne soit pas en contradiction avec la déontologie. Car comme se plaisait à citer M. Jean de Kervasdoué « J’ai autant confiance dans un chirurgien payé à l’acte que dans un capitaine passé à l’ennemi ».
En conclusion ne confondons pas mode d’exercice et mode de rémunération d’une profession. À ne pas poser les bonnes questions on ne peut obtenir que de mauvaises réponses. Enfin n’opposons pas aux aspects économiques des réponses éthiques sinon chaque fois que l’on demandera un plus économique on nous opposera l’éthique du métier et la crise des vocations s’accentuera dans un pays où le coiffeur est payé aussi bien que le médecin.
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