JEAN-MARIE LE PEN savait ce qu'il faisait. Il savait que l'écho de ses déclarations ne serait pas limité à l'audience du journal qui l'interrogeait ; il savait qu'il déclencherait un tollé ; il savait même qu'il serait poursuivi par la justice, même si elle n'a pas les moyens de le confondre. Qu'on continue à parler de « dérapage » ou de « bavure » dans la presse constitue une erreur d'interprétation : Le Pen l'a fait exprès. Et qu'est-ce qui fait courir ce vieillard raciste et atrabilaire sinon d'être celui par qui le scandale arrive ? Même si l'accent idéologique de son intervention n'est pas négligeable, le fond du discours, c'est la provocation. C'est utile de provoquer, parce que cela ouvre un débat, un échange d'arguments, et comme on peut toujours tout prouver pour peu qu'on soit malin, les pires théories trouvent, à la faveur de la discussion, un semblant de vérité.
Le laisser radoter ?
Aussi se demande-t-on parfois s'il ne serait pas préférable de laisser cette figure anachronique radoter dans son coin. Radoter, oui. Car comment imaginer que les 642 victimes d'Oradour ont été exterminées non pas par la division Das Reich, mais par les munitions de la résistance, cachées dans l'église ? Comment peut-on avancer que les 77 000 juifs, communistes et résistants qui ont été déportés, et dont très peu sont revenus des camps, ont été traités d'une façon qui ne fut « pas particulièrement inhumaine » ?
Comment oublier la rue Lauriston, les milliers de fusillés, les otages, les tortures de Lyon, Klaus Barbie, la fin atroce de Jean Moulin, et surtout le sort tragique, inacceptable, d'une France compromise par la collaboration et les divisions qui s'en sont suivies ?
On ne va pas refaire ce procès devant le tribunal de l'Histoire ; c'est Jean-Marie Le Pen qui, une fois de plus, dépose plainte au nom du révisionnisme. Idéalement, il suffirait de rester sourd à ce qu'il dit.
Mais la machine est repartie : la presse s'indigne, le garde des Sceaux annonce une enquête, le pouvoir se fâche, la polémique rebondit : M. Le Pen a déjà gain de cause ; il n'espère pas avoir raison ni imposer une nouvelle vérité historique, il veut seulement qu'on parle encore de lui.
C'EST PARCE QUE L'INTOLÉRANCE RÉAPPARAIT PARTOUT QUE LE PEN RAPPELLE QU'IL EN EST LE PÈRE
L'âge de la retraite.
Façon de démontrer qu'il n'a pas pris sa retraite malgré son grand âge et son discours usé jusqu'à la corde ; façon de rappeler qu'il représente quelque 13 à 15 % de l'électorat et de nous prouver qu'il peut, en leur nom, prononcer les pires énormités (ce qui, indirectement, accroît leur responsabilité dans le choix qu'ils ont fait). Façon enfin de s'inscrire dans un mouvement qui n'est nullement bénin, celui du néoantisémitisme, où affluent des gens de tous les horizons, de l'extrême gauche à l'extrême droite.
Et, après tout, s'il y a des gens pour nier aux juifs le droit d'avoir un Etat, pourquoi n'y en aurait-il pas pour nier qu'ils aient été traités par les nazis d'une façon pas particulièrement inhumaine ? Jean-Marie Le Pen a découvert ces temps-ci que l'intolérance se porte bien dans des milieux qui, paradoxalement, prétendent lui être hostiles ; et il est en train de leur dire : « Mais l'intolérance, c'est moi ! C'est mon gagne-pain ! Ce n'est pas vous ! »
Au fond, aussi agressif qu'il paraisse, ce comportement est défensif. Le patron du Front voit qu'il fait des émules dans des milieux qui ne lui apportent pas un électeur. C'est ce qui est le plus triste dans cette affaire : il y a une surenchère entre les intolérants de gauche et les racistes de droite. On n'ira pas jusqu'à accuser les premiers d'avoir déclenché la sortie de Le Pen ; mais qu'ils ne se méprennent pas sur le climat que, sous couvert d'antisionisme, ils font régner en France : c'est parce que le langage de l'intolérance, la diffamation d'Israël et du judaïsme, les errements d'une gauche dont la pensée vacille ont cours en France que Le Pen veut se placer à la tête d'un mouvement dont il revendique, non sans raison d'ailleurs, la paternité. On l'aurait presque privé de sa marque et de son fonds de commerce. Il remet sur la table son titre de propriété. Et par précaution, il en rajoute une couche.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature