LE TEMPS DE LA MEDECINE
L'ETUDE américano-canadienne dirigée par Ronald Hites (université d'Indiana) et publiée dans la revue « Science » du 9 janvier a d'autant plus gâché l'ambiance autour du saumon d'élevage qu'elle se présentait comme la première étude menée à très grande échelle, « la plus représentative et la plus complète » sur le sujet.
Les auteurs, des toxicologues, des biologistes et des statisticiens connus, ont analysé les filets de 700 saumons d'élevage et sauvages produits dans huit des plus grandes régions productrices du monde et achetés par leurs soins dans des commerces de grandes villes européennes et américaines. Leurs analyses ont montré que le saumon issu des élevages européens est plus contaminé en polluants chimiques que celui d'Amérique (Nord ou Sud), les filets achetés à Francfort, Edimbourg, Londres et Oslo décrochant la timbale pour les taux en PCB, dioxines, et dieldrine les plus élevés, loin devant ceux mesurés sur le saumon sauvage d'Amérique.
Pas plus de 200 g par mois.
Dans ces conditions, l'étude recommandait aux consommateurs de « réduire significativement » leur consommation en saumon : « Dans la plupart des cas, consommer plus d'un repas mensuel à base de saumon d'élevage, soit un peu plus de 200 g, représente des risques cancérogènes inacceptables. » Le saumon sauvage, en revanche, pourrait continuer à être consommé dans des quantités jusqu'à huit fois supérieures sans présenter d'exposition au risque.
En France, où la demande en saumon est la première d'Europe et la deuxième au monde (derrière le Japon), ces conclusions ont provoqué un coup de tonnerre dans les rayons poissonnerie. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a réagi le jour-même, en détaillant deux aspects de l'étude américaine : d'une part, les mesures : à part des différences sur les PCB (17 nanogrammes par gramme de poids frais selon les plans de surveillance français, contre 40 dans l'étude de « Science »), les résultats américains « sont cohérents » avec les résultats français pour les dioxines (2,8 picogrammes par gramme de poids frais en France, contre 2 dans l'étude « Science »), nettement sous la barre fixée par l'Union européenne à 4 picogrammes par gramme de poids frais.
D'autre part, l'Afssa s'intéresse à la méthode d'évaluation américaine qui repose sur une approche mathématique de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), différente de celle utilisée par l'OMS et les agences européennes ; cette méthode devrait faire l'objet d'une discussion, estime-t-on à l'Afssa, et elle ne permet pas, en l'état, d'invalider la recommandation que confirme l'agence française : « Consommer dans le cadre d'une alimentation équilibrée du poisson au moins deux fois par semaine en alternant les espèces (grasses, non grasses), afin de bénéficier des effets protecteurs des acides gras oméga 3 présents dans les poissons gras, dont le saumon. »
D'autres réserves sur le travail de l'équipe de Ronald Hites sont encore émises : son échantillon est jugé lacunaire (seulement trois supermarchés parisiens pour apprécier la contamination dans toutes les ventes de la capitale) et le financement de l'étude a été assuré par le Pew Charitable Trust, un lobby pétrolier très actif dans la préservation des intérêts de la pêche du saumon en Alaska.
Trop gras.
Pas assez cependant pour noyer le saumon. Avec celle du bar, des daurades, des turbots et des truites, sa pisciculture a connu une prodigieuse expansion, multipliée par quarante ces vingt dernières années, plus pour pallier la chute des pêches de poissons sauvages qu'en raison de l'envolée de la demande des amateurs.
L'étude de « Science » a au moins le mérite de porter l'attention sur le mode alimentaire acquaculturel. Elle explique que le saumon est contaminé par une alimentation très grasse, à base de farine et d'huile de poisson ; il stockerait les polluants qui y prolifèrent dans son tissu adipeux (surtout la peau et le gras), alors que son cousin sauvage se nourrit de krill (plancton et petits crustacés), ou d'autres poissons. La « fabrication » d'un kilo de saumon frais nécessite deux à trois kilos de poissons fourrages, lesquels prolifèrent en mer du Nord, dans ce qu'on appelle la poubelle de l'Europe : ainsi s'explique la haute teneur en dioxine observée chez les poissons élevés dans les fermes écossaises et scandinaves.
Les éleveurs gavent leurs bancs de poissons avec des granulés hyperénergétiques, à raison de deux ou trois distributions quotidiennes. Depuis 1996, ces granulés ne proviennent plus des farines de viandes, de plumes et d'os, en application des mesures anti-ESB, mais de poissons pêchés en « minotière », des petites espèces vivant en bancs et capturées par millions de tonnes. L'aquaculture n'est donc pas une parade au dépeuplement massif des océans, tout au contraire.
Face à des ressources halieutiques stagnantes sinon déclinantes, la production aquacole mondiale a un bel avenir, à condition que les professionnels apportent les bonnes réponses aux questions qui restent aujourd'hui en suspens : celle du bien-être des poissons d'élevage est l'une des plus récemment posées. Le Conseil de l'Europe a souligné l'intérêt inhérent à « l'état d'harmonie du poisson avec son environnement », pour son confort physiologique comme pour la qualité de sa chair. Pratiquement, il faut surveiller la densité de l'élevage, comme les qualités physico-chimiques de l'eau et le mode alimentaire.
Des études de l'Ifremer sont en cours pour développer en particulier le concept d'alimentation en self-service : le poisson qui veut s'alimenter apprend en quelques jours à manipuler un levier, à l'intérieur d'un cylindre en PVC, pour commander la distribution d'une récompense alimentaire, déclenchant ainsi un cycle de conditionnement ; l'Inra et l'Ifremer planchent aussi sur des programmes de récupération des déchets solides (les fèces) qui rendent difficile la purification de l'eau avec des poissons comme le bar et surtout le turbot, dont les rejets manquent de consistance.
L'unité mixte de nutrition des poissons élabore encore des programmes biologiques complexes : la chair du poisson a une organisation différente de celle de la viande, avec une alternance de feuillets musculaires séparés et maintenus par du tissu conjonctif ; une des caractéristiques organoleptiques de la qualité de la chair concerne donc la texture, pour la perception en bouche d'un produit ferme, juteux, élastique et doté d'une certaine cohésion. Le rôle de la vitamine C dans la biosynthèse du collagène a été démontré chez les poissons et ce micronutriment pourrait changer la tendreté de la chair du poisson de demain.
Autre tendance piscicole à suivre : la substitution des farines végétales aux farines de poisson, une évolution déjà en cours, mais qui se heurte au déséquilibre en acides aminés essentiels des protéines végétales.
Cependant, la course à la commercialisation des poissons OGM serait déjà engagée. A en croire l'organisation écologiste Greenpeace, une société canadienne aurait réussi à modifier un saumon de l'Atlantique à croissance améliorée avec un gène de croissance du saumon du Pacifique. Cet hybride, baptisé AQuAdvantage, croîtrait quatre à six fois plus vite qu'un saumon normal, avec un besoin en nourriture de 25 % moins élevé. Après le saumon sauvage et le saumon d'élevage, la famille des salmonidés nous réserve encore de beaux jours.
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