LE QUOTIDIEN - Etre parent à part entière, quel que soit son itinéraire personnel, et la construction familiale choisie, est-ce possible selon vous ?
Pr JEAN-FRANCOIS MATTEI - Je pense que oui, car la parentalité procède d'abord des liens affectifs qui s'établissent entre parents et enfants. De mon point de vue, après toutes les réflexions et les questions suscitées par la biologie, la capacité d'aimer demeure intacte.
Sur un plan éthique, voyez-vous des limites à ne pas franchir pour entrer dans la parentalité ?
De tous temps, les liens de parenté ont été de deux ordres : d'une part, biologique, et d'autre part, social, ces deux types de rapports étant associés, imbriqués. Une femme et un homme ont un enfant par voie sexuelle : c'est là l'aspect strictement biologique, auquel se mêle la conjugalité caractérisée par un contrat de quelque nature qu'il soit. Une parentalité se crée, au même titre qu'une fraternité entre frère(s) et sœur(s). Nous sommes donc typiquement dans une relation sociétale. A ce niveau, se pose la question de savoir si on privilégie, ou non, le biologique ou le social. Nous pouvons observer que les liens sociaux, notamment dans le cas de l'union libre, sont de plus en plus fragiles. Et, avec l'adoption ou l'accouchement sous X, la parentalité peut être révocable. Nombre de personnes nées sous X, qui réclament l'accès à leurs origines, optent alors pour le lien biologique. La procréation médicalement assistée, avec les donneurs de sperme et d'ovules anonymes, gomme la dimension biologique, au profit du social. Les mères porteuses, par ailleurs, sont interdites sauf qu'on admet, dans la loi, l'accueil d'un embryon congelé par un couple, en utilisant une procédure d'adoption ; et, là encore, le biologique passe au second plan.
A l'inverse, au nom de la biologie souveraine, on exhume un mort pour une recherche en paternité. Toutefois, à ce jour, la société n'est pas en mesure de choisir entre le biologique et le social, et de dessiner un cadre parental. La logique est mise à mal dans la définition d'indispensables repères : qui est parent de quel enfant, et de qui celui-ci est-il né ? Face à une telle exigence de vérité, qui concerne entre 10 et 12 % des enfants nés de père présumé, le recours aux empreintes génétiques se révèle utile. Dans tous les cas, cette recherche vaut mieux que l'ignorance. Elle tend vers la priorité à donner aux liens affectifs, culturels et sociaux qui se tissent autour d'une histoire commune dans un couple, composé d'un femme et d'un homme, qui désirent, accueillent, accompagnent et aiment un enfant.
Est-ce à dire que vous considérez comme inconcevable, illégitime, l'homoparentalité ?
Dans l'intérêt de l'enfant, pour son développement psychologique et sa construction personnelle, il lui faut deux référents, l'un paternel, l'autre maternel. L'image d'un père décédé, voire absent, répond à cette référence. Mais, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il a ses deux parents si ceux-ci sont du même sexe. Les parents ne sont pas interchangeables. Il s'agit là d'une tromperie anthropologique et psychologique.
Le médecin a-t-il toujours sa place dans ce tissu familial distendu, recomposé ?
Oui, absolument. Il lui appartient d'intervenir en amont, bien avant la constitution de la parentalité, en formulant des recommandations, en accompagnant les personnes, en les prévenant de difficultés qu'elles encourent éventuellement. Sa place, qui n'est pas celle d'un juge, est essentielle ne serait-ce que par l'écoute, la tolérance, la compréhension. C'est lui, qui va mener l'enfant à l'âge adulte avec les meilleures chances possible.
Quelle est votre réaction face à ces enfants « nés de personne », qui, devenus mauvaise graine, pourrissent des quartiers ?
Vous évoquez là le devoir d'éducation des parents et le bien-fondé de l'exemplarité. Or, toute une tranche des 35-55 ans a renoncé à son devoir d'autorité pour diverses raisons. En la circonstance, je dirais qu'il vaut mieux être l'enfant de deux homosexuels autoritaires, ayant le sens du respect d'autrui, du travail et de l'éducation, que d'un père vivant d'expédients et d'une mère absente de tout. Quant à la société, qui a produit des pans entiers d'exclusion, si elle n'intervient pas c'est qu'elle se sent fautive. « Quand on voit ces gens dans les HLM où nous sommes appelés, me dit un neveu CRS, les conditions dans lesquelles ils vivent, ce n'est pas très beau. » Oui, il y a de quoi, pour les pouvoirs publics, être gênés aux entournures. Alors, ils laissent les choses « pourrir » comme vous dites.
Un entretien avec le Pr Jean-François Mattei
Famille nouvelle ou non, rien ne peut changer les relations affectives
Publié le 16/05/2001
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Propos recueillis par Philippe ROY
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 6919
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