Paris (75)
Dr Gilbert Sénéchal
La Une et l’éditorial du « Quotidien du Médecin » du 20 mars, décrivant « la détresse, le rythme infernal, l’exploitation » des internes des hôpitaux ont dû faire pleurer dans les cabinets sinon dans les chaumières en évoquant à la manière des Balzac, Zola, Jaurès et consorts une situation rappelant celle des anciens mineurs de fond, des travailleurs des hauts-fourneaux, voire des serfs ou des bagnards. Je doute cependant que le sort actuel des internes parisiens mérite une telle dramatisation, et l’envoi d’une supplique d’ailleurs anonyme au président de la République. Les motivations de notre jeune collègue sont probablement plus complexes que celles en rapport avec ses déboires hospitaliers, à moins qu’il ne s’agisse simplement que d’une erreur dans son choix de carrière.
L’internat en effet exige certaines obligations mais offre en échange les possibilités d’une formation à nulle autre pareille. Certes les gardes n’ont jamais été une partie de plaisir mais elles sont aussi l’occasion irremplaçable d’acquérir une autonomie indispensable à tout futur praticien, que son orientation soit médicale ou chirurgicale. La présence de seniors est une forme de compagnonnage particulièrement efficace et les rapports de « servilité » évoqués dans l’article sont certainement exceptionnels. Au temps de « mon » internat, il n’y avait avant l’éclatement de la faculté en plusieurs CHU que deux chirurgiens de garde pour l’ensemble des hôpitaux de Paris. L’interne de garde opérant sur procuration téléphonique avait donc un rôle de premier plan… et peu de chances de dormir. Le repos compensateur n’étant pas encore inventé (pas plus d’ailleurs que la rémunération des gardes), il ne semblait pas surhumain à l’âge de 25 ans d’embrayer sur la journée de travail habituelle sans compromettre la sécurité de nos malades ni bouleverser notre vie personnelle, sentimentale ou sociale.
Le mauvais rein : les pourquoi des erreurs de côté
Le Tampon (97)
Dr Jean Dorémieux
Le site du « Quotidien du Médecin » rapportait le 22 mars le cas d’un chirurgien strasbourgeois suspendu pour avoir enlevé un rein sain. Une simple requête sur Google vous retrouvera bien d’autres cas, si vous procédez à la recherche « Doctors Remove Wrong Kidney ». Des chirurgiens ont enlevé le mauvais rein aux USA, en Écosse, en Autriche avec, dans ces trois cas, une tentative immorale de dissimulation constituant une faute déontologique punissable, d’où des suspensions définitives d’exercer.
L’erreur de côté est donc une erreur répétitive chez les urologues, qu’ils utilisent pour une néphrectomie la voie lombaire ou la voie abdominale. Pourquoi ?
C’est qu’enlever un rein comprend deux règles toujours respectées qui égarent la reconnaissance visuelle du bon rein à enlever : la première règle est le no touch, qui signifie de ne pas manipuler le rein tumoral afin de ne pas disséminer des cellules tumorales par des manœuvres qui compriment.
Seconde règle opératoire : aller, en premier, au pédicule rénal et le lier sans toucher ni à la graisse de Gerota qui enveloppe toujours les reins, ni au rein lui-même. Les deux reins ne sont pas dessinés et visibles, comme chacun le croit ou l’imagine selon une vignette bien dessinée de Tintin ; ils sont cachés par de l’intestin qu’il faut repousser et par de la graisse.
Voilà donc trois cas connus en quelques jours par une simple recherche sur Google. Je sais aussi que bien d’autres cas ne sont pas connus des CME ou des ARS… Lors d’un cas précédent que j’avais connu et même expertisé, j’avais prévenu, lors de discussions sur les sites professionnels, que cette erreur aller se renouveler, tant que des appareils de lecture des CD-ROM ne seraient pas installés dans tous les blocs opératoires publics comme privés. Et qu’en attendant l’achat de ces appareils onéreux, le mieux était de regarder le soir les radios et de donner un bon coup d’ongle bien propre la veille : un coup figurant le tracé de l’incision, une marque que rien n’efface, pas même les préparations antiseptiques.
Pourquoi de tels accidents ? C’est que la pénurie en urologues est telle que certains services d’urologie fonctionnent avec un seul PH qui est, ainsi, de permanence incessante au lieu d’avoir ensemble y compris en congés deux ou trois PH. Certains fonctionnent donc sans le staff de présentation des cas à opérer, parce que sans aucun assistant, sans aucun interne (alors que voici 40 ans, il existait quatre internes, deux assistants dans de tels services), voire même sans secrétaire médicale, je l’ai vu. J’ai vu des services sans chef, des chefs sans possibilité d’aller en vacances.
Certains urologues sont d’astreinte sans cesse jusque 70-80 heures par semaine sans pouvoir dormir tranquillement, avec en plus de réveils en pleine nuit plusieurs fois. Il en résulte une fatigue considérable, un manque d’aides opératoires qualifiées. Mais le plus grave me semble être le manque d’appareils de lecture des nouvelles radios en salle d’opération.
Voilà toute une série de services devenus médiocres faute de recrutement en urologues. Et de tels accidents, voire la crainte de tels accidents produisent des démissions, des départs en retraite anticipés, des reconversions et une pénurie de vocations. Pourquoi ? C’est que dans les hôpitaux, que vous soyez biologistes ou chirurgiens vasculaires, vos émoluments seront identiques. Les gens le savent !
Il peut aussi arriver, si les anesthésistes décident par exemple de modifier le programme ou si le cas devient plus urgent, que l’urologue soit appelé à intervenir à la fin de son programme habituel alors que le dossier emmené au bloc ne comprend pas les radiographies restées en lecture dans les secrétariats des services de radiologie qui n’ouvrent qu’à 8 heures et qui ferment à midi.
De l’intention paradoxale à la thérapie paradoxale
Angers (49)
Dr Paul Marquis
J’ai beaucoup apprécié l’écrit de notre confrère, le Dr Benoît Bayle, mettant l’accent sur la nature de l’intention paradoxale du Dr Viktor Frankl. J’ai eu envie aussi de partager cet enthousiasme à propos d’une
pratique psychothérapeutique efficace et curieusement aussi peu utilisée.
Le Dr Benoît Bayle la rapproche de l’école de Palo Alto puisqu’elle recadre l’intervention en thérapie au point de considérer qu’il peut être essentiel d’empêcher un patient de s’améliorer dès lors qu’il s’est échiné à tout tenter pour s’en sortir. Le thérapeute qui s’appuie sur cette démarche encourage le symptôme et va jusqu’à l’inclure dans une tâche que le patient doit effectuer s’il désire vraiment se libérer de ses entraves psychiques.
Le Dr Benoît Bayle cite plusieurs applications cliniques montrant bien la démarche salvatrice de cette intention paradoxale. On la retrouve aussi dans la thérapie du Dr Shoma Morita (1874-1938), psychiatre japonais et contemporain de Freud, qui a écrit en 1921 un ouvrage intitulé « Shinkeishitsu » (1). Il relate le cas d’une patiente souffrant d’un T.O.C et souligne qu’elle « n’avait pas pu, pendant cinq ans, mettre les vêtements neufs qu’elle achetait car elle avait le doute obsessionnel de les avoir volés ». Il parvient à apaiser son esprit non pas par une démarche intellectuelle mais en réunissant les conditions d’une expérience « sécurisante » pour la malade. Pour cela, le Dr Shoma Morita énonce la tâche ainsi prescrite : « Nous l’avons obligée à s’habiller immédiatement avec ces vêtements et à se coucher avec, en lui disant : "C’est évident que vous souffrirez de l’angoisse toute la nuit. Couchez-vous avec cette idée.". » Le fait de lui avoir imposé le port de vêtements neufs durant la nuit avec la possibilité de douter a eu un effet libérateur.
Elle s’invite aussi dans diverses pratiques psychothérapeutiques même si on ne la met pas au premier plan. Elle est clairement présente dans la pratique de la pleine conscience. Ici, le non-agir, le lâcher prise ou, dit
autrement, l’abandon de toute tentative de solution consiste à seulement s’asseoir. Faire en sorte de rester seulement assis sans intention (sans juger, sans chercher à retenir ni à rejeter quoique ce soit), pratiquant
ainsi le jeûne de l’esprit comme cela nous arrive parfois sans le faire exprès.
N’est-ce pas là le but de la psychothérapie que de permettre au patient un retour à l’ordinaire et au spontané ? Pouvoir par exemple dormir, savoir dire non parfois, sortir de chez soi sans paniquer et tout cela en ayant oublié de faire quoique ce soit.
(1) Shoma Morita, « Shinkeishitsu », Collection Les empêcheurs de tourner en rond ; Jean-François BILLETER, « Études sur Tchouang-Tseu », Allia
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