Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à l’augmentation de la multirésistance (1,2), que vient accentuer le faible nombre de nouvelles molécules disponibles, l’absence d’innovation thérapeutique, voire la disparition de certaines, comme nous l’avons récemment vécu avec le retrait du doripénème. Dans ce contexte particulièrement délicat, le bon usage des antibiotiques revient au premier plan, avec d’un côté l’optimisation de la prescription et de l’autre celle de la délivrance.
Cette année encore à l’ICAAC, plusieurs sessions ont été centrées à la fois sur les nouvelles voies d’administration d’anciennes molécules, et sur l’importance du respect des principes de la pharmacocinétique/pharmacodynamique (PKPD). De la même manière, la multirésistance nous a aussi appris à repenser nos échelles bénéfices/risques.
Voie d’administration
Dans un travail réalisé in vitro, Bowker et al. ont utilisé un modèle permettant de simuler l’administration d’amikacine par voie inhalée pour déterminer les effets produits sur différentes bactéries Gram négatives (3).
Ce mode de délivrance permet l’obtention de fortes concentrations locales, limitant ainsi le risque d’apparition de mutants résistants, liés aux concentrations subinhibitrices. On notera que ce principe de base est, depuis quelques années, largement remis en question ; en 2005, Falagas et al. ont montré dans une méta-analyse l’absence de relation entre émergence de résistance et monothérapie versus bithérapie (4).
Dans ce travail, les auteurs ont utilisé l’« amikacin inhale » qui est actuellement en évaluation dans des études de phase III. Les études de phase II ont montré que, chez le patient ventilé, l’administration de 400 mg/12 heures permettait d’obtenir des concentrations de pic dans l’aspirat trachéal à 16 200 mg/ml avec une demi-vie d’environ 1-2 heures. Les concentrations dans le film alvéolaire ont été mesurées à 2 417 mg/ml. Par ailleurs, le paramètre PK/PD pour les aminosides est classiquement le rapport C
Bowker et al. ont donc simulé différents niveaux d’exposition afin de déterminer les rapports Cmax/CMI et AUC/CMI obtenus dans ce cadre d’administration. Les résultats montrent, pour K. pneumoniae et P. aeruginosa, une efficacité initiale à la phase précoce et ce, de façon indépendante du niveau de CMI : les 3 souches de Klebsielle avaient des CMI de 1,5 ; 3, et 64, pour Pseudomonas on retrouvait 2, 6, et 32.
L’ensemble de ces éléments est en faveur d’une utilisation à forte dose à la phase initiale de l’infection et ce même pour les pathogènes avec les CMI les plus élevées.
Monitoring des concentrations
Les aminosides représentent une molécule de choix dans la prise en charge des tuberculoses multirésistantes. La variabilité des constantes pharmacocinétiques a été impliquée dans les échecs observés, comme dans le taux extrêmement élevé d’ototoxicité (68 %) (1).
Sur un collectif de 28 patients atteints de tuberculose multirésistante, Modongo et al. se sont intéressés aux caractéristiques de l’amikacine après une injection intramusculaire (6). Leurs résultats ont montré une extrême variabilité en fonction des individus (voir figure 1). Ces données sont en faveur d’un monitoring rapproché des concentrations sériques d’aminosides dans la prise en charge de la tuberculose multirésistante.
Dans un autre travail, la même équipe utilise à propos de l’ototoxicité très fréquemment relevée, l’expression « mieux vaut être sourd que mort… » et s’intéresse aux facteurs prédictifs de celle-ci (7). Il est assez étonnant de voir que les auteurs partent du travail princeps de Black et al. publié en 1976 (5). Cette publication conclut à une responsabilité équivalente des concentrations de pics et de creux dans l’ototoxicité de la molécule, posant clairement les bases d’un débat non totalement résolu à ce jour. Si la toxicité rénale est associée à la concentration de creux, l’ototoxicité pose toujours des questions et la démonstration est moins claire (8). Dans leur travail portant toujours sur les 28 patients précédemment décrits, les auteurs montrent que le meilleur paramètre associé à l’ototoxicité est l’aire sous la courbe cumulative (voir figure 2).
Mortalité
Toujours dans l’optimisation de la prescription, très peu d’études ont montré que l’adhésion aux grands principes du PKPD permettait de modifier le pronostic des patients en termes de mortalité. En 2007, Lodise et al. avaient mis en évidence que l’administration en perfusion prolongée de l’association pipéracilline-tazobactam permettait chez les patients les plus graves (APACHE II score › 17) d’améliorer la mortalité : 12,2 %, versus 31,6 % pour ceux recevant une administration intermittente (9). Ces données n’avaient jamais été répliquées et confirmées.
Une équipe du Wisconsin menée par DeGrote et al. est parti du même rationnel (10). Les études de simulation par Monte-Carlo ont montré qu’une administration allongée (AA) de pipéracilline tazobactam avait une probabilité plus élevée d’obtenir un temps au-dessus de la CMI › 50 % par rapport à une administration intermittente (AI). Les auteurs ont donc comparé une administration sur 4 heures versus un bolus sur 30 minutes pour la première dose. Il s’agit d’une étude rétrospective unicentrique et non randomisée étudiant deux périodes, pré- et postinterventionelles (AI de janvier à août 2010, AA d’octobre 2010 à mars 2012). Les caractéristiques de l’étude en définissent toutes les limites et les précautions quant à la solidité des conclusions présentées.
Le critère de jugement principal était la mortalité à 30 jours. La comparaison des caractéristiques démographiques des deux groupes ne montre pas de différences patentes, les sites infectés sont aussi tout à fait comparables, avec une grande majorité d’infections pulmonaires (AI 34/44 soit 77,3 % ; AA 36/55 soit 65,5 % ; p = 0,267). Les résultats montrent une diminution significative de la mortalité, qui passe de 81,8 % dans le groupe AI à 61,8 % dans le groupe AA. Les auteurs montrent donc un potentiel intérêt à la réalisation, au moins pour la première dose, d’une perfusion allongée sur 4 heures par rapport à un bolus sur 30 minutes. Étant donné le protocole employé, une étude prospective de plus grande envergure paraît nécessaire.
(1) Levy Hara G et al. Journal of Chemotherapy 2013 ;25(3):129-40
(2) Pitout JD.The Lancet Infectious Diseases 2010 ;10(9):578-79
(3) ICAAC 2014. Abs A-042
(4) Bliziotis IA et al. Effect of aminoglycoside and beta-lactam combination therapy versus beta-lactam monotherapy on the emergence of antimicrobial resistance: a meta-analysis of randomized, controlled trials. Clinical Infectious Diseases: an Official Publication of the Infectious Diseases Society of America 2005 ;41(2): 149-58.
(5) Black RE et al. Ototoxicity of amikacin. Antimicrobial Agents and Chemotherapy 1976 ;9(6):956-61
(6) ICAAC 2014. Abs A-015
(7) ICAAC 2014. Abs A-014
(8) Peloquin CA et al. Clinical Infectious Diseases 2004 ;38(11):1538-44.
(9) Lodise TP et al. Piperacillin-tazobactam for Pseudomonas aeruginosa infection: clinical implications of an extended-infusion dosing strategy. Clinical Infectious Diseases: an Official Publication of the Infectious Diseases Society of America 2007 ;44(3):357-63. doi:10.1086/510590
(10) ICAAC 2014. Abs K-1018
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