Ici une femme voilée qui, sous la pression de son mari, ne veut pas être examinée par un homme, là un interne en kippa : en fait, rares sont les manifestations d'intégrisme religieux susceptibles de poser des problèmes en milieu hospitalier. Ils restent « marginaux », mais « il y a une difficulté croissante à faire respecter la règle », a tenu à affirmer Claude Dagorn, directeur de l'hôpital intercommunal de Montreuil (Seine-Saint-Denis), lors de son audition, le 21 octobre, par la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi (1).
Entendu avec Christine Picot, sage-femme, Claude Dagorn évoque une radicalisation religieuse, qui, quand elle s'exprime au sein du personnel, peut créer un trouble. Certes, l'interne a ôté sa kippa après l'intervention d'un chef de service et quelques voiles islamiques ont disparu après négociation, mais « l'équipe soignante et les médecins sont relativement choqués et attendent une clarification et une attitude ferme ». De leur côté, deux patients d'origine maghrébine ont fait savoir qu'ils ne voulaient pas « être soignés par une intégriste », indique le directeur.
Parmi les consultants, c'est le service de gynécologie-obstétrique qui apparaît le plus exposé. Des maris n'acceptent pas que leur femme entièrement voilée et gantée se fasse examiner ou accoucher par un homme, a raconté Christine Picot. En général, « les femmes voilées n'ont presque pas le droit de parole. Même si elles connaissent beaucoup de choses, elles se plient à la volonté du mari ou du religieux ». Certaines n'osent pas prendre de produit contraceptif parce que « ça se voit », puis elles viennent demander : « Faites-moi une IVG, sinon je vais me tuer. »
Il existe bien une formation proposée au personnel relative aux différentes cultures et pratiques familiales des populations soignées à Montreuil, mais la radicalisation religieuse change les relations que les soignants nouent avec les patients, constate la sage-femme.
A l'hôpital intercommunal Robert-Ballanger, toujours en Seine-Saint-Denis, couvrant les villes d'Aulnay-sous-Bois, Sevran, Tremblay et Villepinte, il arrive « deux à trois fois par an » que la sécurité de l'établissement soit sollicitée, afin d'éloigner un mari rétif « qui ne veut pas d'un médecin homme pour une césarienne ou un forceps », témoigne pour le « Quotidien » Sophie Daire, sage-femme. « Lorsque cela est possible, on prévient les femmes voilées qu'elles auront affaire à un homme et, dès ce moment-là, elles prennent leurs dispositions. Aux urgences gynécologiques, si un médecin homme est de garde, elles partent. » « Ça va jusqu'en pédiatrie, poursuit Sophie Daire. Si on néglige de leur signaler qu'un pédiatre homme va passer dans le service à telle heure, elles font un scandale, car elles n'ont pas eu le temps de se voiler. »
A l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), on ne se heurte pas à ce genre de difficulté, résume, pour « le Quotidien », le directeur, Michel Bilis. « Si ce n'est l'opposition de principe aux transfusions sanguines des Témoins de Jéhovah, mais ce n'est pas une manifestation d'intégrisme », dit-il.
Tolérance réciproque
Ailleurs, comme aux Hospices civils de Lyon, la riposte est juridique. « Nous sommes un service public laïc et, à ce titre, notre position est celle donnée par les juges : toute manifestation ostentatoire d'appartenance à une religion est interdite, d'autant plus que les patients sont fragiles », explique le responsable chargé de la communication. En clair, la non-acceptation d'abandonner la kippa ou le voile de la part d'un soignant est assimilée un « refus d'obéissance », qui relève de sanctions disciplinaires pouvant aller du blâme à l'exclusion.
La situation est « complètement différente » en ce qui concerne les patients. « Nous n'avons pas à porter de jugement sur l'appartenance religieuse ; au contraire, on essaie de la respecter, explique le porte-parole des HCL . Si un médecin femme est souhaité en gynécologie, nous allons en chercher un. Même nos services funéraires s'adaptent. A Lyon-Sud, la table de toilette est orientée vers La Mecque. »
A l'Assistance publique de Marseille souffle le même esprit lyonnais. « Les agents hospitaliers sont des fonctionnaires tenus d'appliquer le statut de la fonction publique hospitalière », insiste-t-on. C'est une « tolérance réciproque » patients-soignants qui règne. « Nous n'avons jamais eu de problèmes ayant donné lieu à une quelconque doléance, requête ou plainte », confirme Gilles Halimi, patron de l'hôpital Nord. « On ne peut accepter que certains s'abritent derrière une conception dévoyée de la liberté religieuse pour défier les lois de la République ou mettre en cause les acquis fondamentaux d'une société moderne que sont l'égalité des sexes et la dignité des femmes », dit Jacques Chirac à Valenciennes, à propos du voile à l'école. Il a rappelé qu'il tirerait « toutes les conséquences » des travaux de la commission Stasi « en ayant recours, s'il le faut, à la loi ».
(1) Mise en place par Jacques Chirac en juillet dernier, la Commission sur la laïcité, qui comprend 21 membres, dont Régis Debray et le sociologue Alain Touraine, remettra son rapport au chef de l'Etat en décembre, après avoir auditionné en séance publique une centaine de personnes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature