LES SORTIES médiatiques de Christian Saout, le bouillant président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS, qui réunit les usagers de santé), passent rarement inaperçues. Celle-ci n'échappera pas à la règle. Cet après-midi, le CISS dévoilera les résultats édifiants d'une enquête sur la pratique des dépassements d'honoraires que « le Quotidien » s'est procurée : réalisée sur la base des données collectées auprès des caisses primaires, cette étude met en réalité davantage en cause l' «opacité et l'inertie» du réseau de l'assurance-maladie que les pratiques tarifaires des médecins, même si plusieurs exemples compilés montrent certains abus en la matière, en secteur I et II.
Sur 82 caisses primaires sollicitées début avril par le CISS via les représentants locaux des usagers siégeant dans les conseils, seulement neuf CPAM avaient livré, au début de cette semaine, des informations «exploitables» (les demandes portaient sur le nombre de médecins coutumiers des dépassements et les tarifs moyens appliqués dans chaque spécialité).La moisson est maigrichonne. Huit CPAM ont rendu une copie «partielle» (pratique en secteur I uniquement, une seule spécialité...)et quatre une réponse «indigente»,l'assurance-maladierenvoyant les usagers à la consultation de son site Internet (ameli.fr), à sa plate-forme téléphonique ou encore au dispositif « Infosoins ». Difficile dans ces conditions de dresser un état des lieux précis.Surtout, soixante et une CPAM, toujours selon le CISS, n'ont pas jugé utile de répondre à la requête du CISS (les autres caisses n'ayant pas été sollicitées). Au total, seul un quart des caisses contactées ont apporté des informations, et le plus souvent parcellaires.
Il n'en faut pas plus à Christian Saout pour dénoncer l'opacité de la CNAM dans ce domaine, pourtant chargée de «faire la police» des tarifs. «Certaines rares caisses ont joué le jeu, il est donc parfaitement possible de recueillir les données locales détaillées sur les dépassements. Mais on ne veut pas nous les donner! J'émets trois hypothèses: la complicité des caisses avec les médecins; un ordre de la direction de la CNAM à son réseau de ne pas répondre au CISS pour ne pas remuer ce dossier nauséabond; enfin, la volonté de dire qu'il n'y a pas vraiment de problème...» Quelle que soit la raison, les accusations du CISS sont lourdes et devraient entraîner une réponse de la CNAM. Selon nos informations, le directeur de l'assurance-maladie, Frédéric Van Roekeghem, aurait déjà pris contact avec le président du CISS pour dissiper les malentendus.
Malgré la faible récolte d'informations auprès des caisses qui, de l'aveu même du CISS, «empêche d'établir un panorama de la situation des dépassements», l'étude ne se prive pas d'utiliser les résultats exploitables (Longwy, Meurthe-et-Moselle, Belfort, Val-de-Marne, Val-d'Oise, Haute-Vienne et Gard notamment) pour accréditer la thèse d'une «dérive» tarifaire. En avril 2007, un volumineux rapport de l'IGAS sur le sujet estimait à 2 milliards d'euros le montant annuel des dépassements (11 % de l'enveloppe des honoraires). Le même document soulignait la croissance de cette pratique depuis dix ans chez les spécialistes, responsable d'un «recul de la solidarité nationale» (deux tiers des dépassements pesant sur les ménages) .
Boîte de Pandore.
Le secteur I n'échappe pas à la mise en cause. «Est-il toujours garant du secteur opposable», s'interroge le CISS, provocateur. Sans nier le droit «exceptionnel» au dépassement pour exigence particulière du patient (DE), le CISS affirme que cette option est trop souvent «dévoyée» pour augmenter les revenus, aboutissant à un «détournement de droit». En Saône-et-Loire, selon le CISS, la caisse déplore que «71,5% des dépassements pratiqués par les médecins de secteurI ne sont pas autorisés».À Belfort, «deux spécialistes de secteurI pratiquent des dépassements dont les montants sont équivalents au montant du tarif opposable».Bref,le CISS considère que le DE » ouvre une «boîte de Pandore» permettant à certains professionnels astreints aux tarifs opposables de «majorer» les consultations.
En secteur II, la «dérive» serait «continue». Là encore, l'étude apporte une série d'exemples censés démontrer la multiplication des abus. Dans le Gard, «on nous informe que les dépassements peuvent atteindre 325euros par acte technique réalisé par un neuropsychiatre de secteurII exerçant en clinique».Dans le Val-de-Marne, le CISS dit avoir dépisté «les spécialités gloutonnes» dont la gynécologie, la stomatologie ou l'ORL.
En écho à d'autres études, le CISS fait état du «problème spécifique de la chirurgie» avec des secteurs entiers sans aucun chirurgien général en secteur I (Gard)...
Pour Christian Saout, l' «expansion anarchique» des dépassements commande une riposte. Davantage que les pratiques des médecins, c'est la passivitéde l'assurance-maladie dans son rôle de «police» des abus qu'épingle le CISS.
Dès lors, le CISS propose d'abord d' «améliorer l'information des usagers» en redéfinissant le rôle des caisses primaires invitées à multiplier les campagnes d'affichage sur les tarifs et les voies de recours en cas d'abus. Autre requête : la présence des représentants des usagers (à travers leurs associations) dans toutes les instances de l'assurance-maladie, commissions paritaires locales, conseil de l'UNCAM, mais aussi aux négociations conventionnelles, afin d'exercer un «contrôle effectif». Last but not least, le collectif plaide pour un encadrement strict des dépassements «en plafonnant leur montant», ce qui signerait l'arrêt de mort du secteur II actuel.Au-delà de ce plafond (dont le principe serait inscrit dans un décret), les dépassements seraient réputés «nuls et non avenus» et les abus assortis de sanctions (restitution du trop-perçu, suspension des cotisations jusqu'au déconventionnement) .
Quant à la notion de tact et mesure «trop sujette à appréciation», elle serait abandonnée. Enfin, le CISS suggère de «glisser» du paiement à l'acte des médecins libéraux vers un «autre de mode de rémunération moins inflationniste».
Comme d'habitude, le CISS ne fait pas dans la dentelle. Ses détracteurs jugeront sa charge excessive compte tenu de la fragilité des nouveaux éléments apportés. Le Dr Jean-François Rey, chef de file des spécialistes de la CSMF, met en cause le procédé. «Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage. Les pratiques tarifaires anormales sont très minoritaires et il n'est pas tolérable de prendre quelques exemples d'abus, qui oublient généralement le secteur privé à l'hôpital public parisien, pour orchestrer la mort du secteurII...»
Bachelot légaliste et intraitable
Que faire pour «éviter» les dépassements d'honoraires ? Comment «sanctionner» ces mêmes dépassements ? Interrogée sur ce mode dans le cadre du Grand Rendez-Vous d'Europe 1-TV5 Monde-« le Parisien », la ministre de la Santé a pris soin de remettre les pendules à l'heure. Aussi bien en termes de volume – «Sur 18milliards d'honoraires, il y a 2milliards de dépassements», a-t-elle fait valoir – qu'en termes de droit. «Je sais très bien que les dépassements peuvent être justifiés» ou encore : «Il n'y a pas de raison d'avoir des sanctions si (les dépassements) sont accordés et justifiés par les titres du médecin.»
Cette petite mise au point faite, la ministre regarde résolument à travers le prisme de l'accès aux soins le phénomène des dépassements d'honoraires. Et elle l'observe d'avantage du point de vue des patients que du point de vue des médecins. La question, dit-elle, «pose un véritable problème à beaucoup de malades» et, dans ce contexte, son souhait est que «le malade qui veut un praticien sans dépassement puisse le trouver», y compris dans les cliniques privées. Pour Roselyne Bachelot, par ailleurs très attachée à l'information des patients, l'arsenal juridique existe qui permet d'éviter les abus – elle rappelle à ce titre que des dispositions ont été inscrites dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2008). «Il y a, dit-elle, la possibilité d'encadrer les dépassements en gardant les deux systèmes [honoraires conventionnels ou honoraires libres, NDLR]. » Elle précise que, avec l'aide de l'Ordre des médecins et des caisses d'assurance-maladie, elle sera intransigeante chaque fois qu'un refus de soins sera démontré par une personne : «Sur ce sujet, ma main ne tremblera pas.»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature