La santé en librairie
François Dagognet, dont la présence de philosophe sur le terrain biomédical n'a pas faibli depuis des années, nous affirme dès les premières pages de son dernier livre, intitulé « Questions interdites », que « le problème de la santé réunit plus fortement que jamais la morale et la médecine mais aussi la société et la politique, entraînées à leur tour dans leur sillage ».
Puis, il entreprend d' « examiner les problèmes actuels liés à la vie, depuis la conception jusqu'à la mort ». C'est que, pour lui, les questions de l'avortement, de l'assistance médicale à la procréation, du clonage, de l'euthanasie, de l'acharnement thérapeutique, bouleversent non seulement les débuts et les fins d'existence individuels, mais « remanient indirectement les bases de la société ».
Que la « déontologie-discipline », qui s'imposait hier au médecin, doive évoluer est donc simplement logique. En outre, cette déontologie apparentée à une « morale de la soumission » à la nature ne peut guère satisfaire l'auteur, qui a résolument réaffirmé dès les premières pages de son livre, d'une part son rejet du naturalisme réductionniste dont font preuve ses adversaires, « attachés au biologique qu'ils consacrent et même sacralisent », et, d'autre part, son option personnelle en faveur de la culture.
La communauté plutôt que l'individu
Considérant que « l'homme n'est homme que parmi et avec les hommes », chassant « définitivement les reliquats individualistes ou l'étanchéité d'un corporel qui s'impose trop en tant que tel », il préfère au corps individuel un « métacorps ». Aussi désormais, il « n'encourage ou ne légitime que ce qui vivifie une communauté, de la plus réduite, comme la cellule familiale, à la plus ample, les associations de la société civile ». En pratique, cela revient à considérer le recul du secret médical comme le début d'une révolution attendue, à plaider pour le droit des pacsés à procréer, pour le clonage thérapeutique et pour « une solidarité biospirituelle, radieuse et secourante », volontariste, entre « quasi-défunts » et handicapés par le truchement des greffes.
Comme François Dagognet, Jacqueline Lagrée entend bien que participent au débat bioéthique le juriste et le politique. En revanche, à l'encontre de son collègue philosophe, elle ne cite pas le théologien et se félicite de la participation au débat du psychologue, du sociologue, de l'historien, des soignants et des médecins, telle qu'elle a pu l'observer au Comité régional de bioéthique de Rennes. Et c'est ce type de réflexion, associant des points de vue très divers, qu'elle se propose d'appliquer à l'examen des relations entre le malade et son médecin, « relation qui elle-même nous renvoie à d'autres : le malade et ses proches, le médecin et l'institution hospitalière, les sources d'information, la société, le monde du travail, etc. ».
Point de révolution annoncée ou souhaitée donc, mais une invitation au lecteur à poursuivre personnellement sa réflexion de philosophe.
La plupart de ces questions qui sont, sinon interdites, du moins difficiles, telles que l'euthanasie, les dons d'organes, le clonage thérapeutique, l'expérimentation sur l'homme, le secret médical ou la vérité au malade, vont très vite surgir dès que l'auteur s'interroge sur la personne soignée. Il lui semble que le juriste a raison, lorsqu'il craint pour celle-ci le danger d'instrumentalisation, en particulier quand se camoufle, « sous une rhétorique de la solidarité entre sujets sains et malades ou entre générations... une logique de profit ou au mieux une logique de développement de la science sans garde-fous ».
Des vertus fondamentales
C'est toujours en écoutant les philosophes d'hier et ceux d'aujourd'hui que l'auteur avance dans le secret et les enjeux d'une consultation médicale, dans les risques et les grandeurs d'une pratique médicale ou chirurgicale. Elle trace ainsi un chemin, non pas vers
« une nouvelle éthique, fût-elle minuscule », mais vers des vertus qui lui paraissent fondamentales dans le cadre de cette relation entre le malade et son médecin : courage, lucidité, humilité, constance, présence à soi et confiance en l'autres, sollicitude... s'enchaîneront et trouveront leur cohésion, selon l'auteur, par
« l'amitié, pour l'autre et pour soi-même ».
Pour finir, la philosophe évoque l'art médical tel qu'il apparaît après une telle analyse : sa réussite serait,
« en un sens, de parvenir à s'effacer », le pouvoir du médecin n'étant pas
« de faire ou de fabriquer mais de pouvoir restaurer une nature ou de rétablir un équilibre ».
Si d'un ouvrage à l'autre, bioéthique ou morale médicale prennent des orientations singulièrement différentes, voire opposées, les auteurs ont au moins un objectif commun, celui de faire comprendre l'importance du débat et l'importance, pour chacun, d'y participer. Il s'agit, selon les termes de Spinoza, cité par Jacqueline Lagrée, de
« ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre ».
« Questions interdites », François Dagognet, Les Empêcheurs de danser en rond, 140 pages, 14,90 euros.
« Le Médecin, le malade et le philosophe », Jacqueline Lagrée, Bayard, 216 pages, 19,90 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature