PARIS - DU 16 AU 19 MAI 2001
D ANS le domaine néonatal, comme l'explique le Pr Y. Aujard, la prématurité est en croissance (6,3 % des naissances) ; les grossesses, notamment à haut risque, n'ont jamais été aussi bien suivies d'où des morts ftales évitées... et l'accroissement du nombre des grands prématurés à haut risque de séquelles neurologiques, sensorielles, de croissance. Pourtant, le Pr Y. Aujard, s'il admet la nécessité d'une attitude réservée vis-à-vis de la réanimation des très grands prématurés, rappelle que de 85 à 90 % des enfants de plus de 28 semaines ne présenteront pas de séquelles, d'où la nécessité impérieuse d'une prise en charge optimale par les néonatalogistes.
Pour faire face à cet afflux de grands prématurés, les hôpitaux manquent de lits et de néonatalogistes : les unités hyperspécialisées (niveau 3) sont engorgées par manque de lits d'aval (niveau 2B). Dans ces conditions, la seule solution est le développement de l'HAD, coordonnée par un pédiatre libéral : à l'hôpital Robert-Debré, des enfants sortent ainsi de l'hôpital à partir de 1 850 g ; une charge de travail importante pour les libéraux, admet le Pr Y. Aujard.
Les urgences pédiatriques au bord de l'implosion
La croissance quasi exponentielle de la demande de soins urgents et non programmés ne concerne pas que la pédiatrie (+ 10 % par an entre 1991 et 1997), mais elle est particulièrement criante pour les « urgences » pédiatriques qui représentent 30 % du total. Ce sont surtout des consultations non programmées qui augmentent pour de multiples raisons : recherche d'un plateau technique optimal, absence de médecins traitants notamment dans les familles de migrants, explique le Pr Philippe Reinert.
Tous les participants reconnaissent que le désengorgement des urgences hospitalières est une priorité et qu'il passe par une meilleure coordination ville-hôpital et par une plus grande intégration des pédiatres aux centres 15 : il reste que dans de nombreux départements, le nombre des pédiatres libéraux est trop faible pour atteindre cet objectif.
De toute façon, les urgences pédiatriques hospitalières sont actuellement submergées avec une progression qui est pratiquement le double de celle des urgences d'adultes (+ 8 % par an contre 4,6 %) ; 70 % de ces enfants ont moins de 5 ans et 50 % moins de 2 ans ; même si la plupart sont des cas bénins, nul ne peut nier que la présence d'un médecin d'enfant est impérative à cause des plus graves... qu'il faut savoir reconnaître. Malheureusement, sur le millier de postes d'urgentistes débloqués sur trois ans, une dizaine seulement a été attribuée à la pédiatrie !
Or les tableaux de garde sont déjà impossibles à remplir, qu'il s'agisse des urgences ou de la réanimation : 30 % des gardes sont assurées par du personnel n'appartenant pas à l'hôpital, notamment des pédiatres libéraux ! Pourtant, les chefs de clinique travaillent en moyenne 75 + ou - 10 heures par semaine, dont 36 + ou - 8 heures d'affilée quand ils sont de garde. Pourtant, certains internes acceptent 7 ou 8 gardes par mois (alors que 5 seulement sont obligatoires avec temps théoriquement récupéré). Le premier résultat est que les hospitaliers français n'ont plus de temps pour se consacrer à la recherche et pour publier, souligne le Pr J.-C. Mercier.
Le Dr B. Virey insiste sur le fait que « les pédiatres libéraux participent aux gardes hospitalières (urgences et réanimation) en plus de leurs gardes de maternité libérales et de leurs gardes de pédiatrie en ville. Ce qui amène pour eux une charge de travail importante allant jusqu'à 70 heures par semaine (plus ou moins 10 heures), sans possibilité de récupération après les gardes ; il nous arrive donc de travailler parfois plusieurs jours d'affilée sans repos ». Par ailleurs, dans de nombreuses villes, on voit les urgences pédiatriques prises en charge par des urgentistes d'adultes, évolution qui est encouragée par les pouvoirs publics déplore le Pr F. Beaufils ; or les urgentistes ne sont pas toujours à l'aise pour examiner un nourrisson et ne sont pas formés à déceler des pathologies peu fréquentes et/ou spécifiques de l'enfant.
Du dépistage à la prise en charge des maladies chroniques
En ce qui concerne le dépistage, le Pr G. Bellon insiste sur le fait que le pédiatre doit jouer un rôle avant la naissance ; la consultation prénatale est importante pour l'éducation sanitaire (expliquer les enjeux du dépistage néonatal, l'intérêt de l'allaitement maternel et des vaccins...).
Le rôle du pédiatre libéral est sous-estimé, à un moment où il n'a jamais été plus important, déplorent tous les participants : le plan de dépistage de la mucoviscidose implique un consentement signé de la famille, ce qui demande des dialogues prolongés. On a vu que, en postnatal, le dépistage des séquelles de la prématurité repose de plus en plus sur la médecine ambulatoire, d'autant que les enfants sont renvoyés de l'hôpital de plus en plus tôt et qu'une forte proportion de mères ne répondent pas aux convocations hospitalières, du moins dans les grandes agglomérations. D'une façon plus générale, les participants pensent qu'il serait souhaitable que les bilans figurant sur le carnet de santé soient réalisés par des pédiatres, en particulier à 2 et à 4 ans ; il serait bon d'y ajouter des bilans à 9 mois, à 6 ans et à 11-12 ans, cela pour tous les enfants et pas seulement chez ceux atteints de maladies chroniques : « Cela paraît un minimum, ce qui ne s'oppose pas à ce que les familles aient le libre choix du médecin de leurs enfants, en dehors de ces rendez-vous », déclare le Dr J. Grunberg.
Enfin, les pédiatres libéraux doivent gérer en ville en relais et en coordination avec les hospitaliers des patients atteints de maladies chroniques qui, autrefois, ne survivaient pas et ont aujourd'hui une évolution beaucoup plus lente du fait des progrès de la médecine : séquelles de la prématurité, malformations congénitales, tumeurs malignes, mucoviscidose, drépanocytose, diabète. Une mention particulière doit être faite à l'asthme qui touche de 8 à 10 % de la population d'âge scolaire et dont la prise en charge est loin d'être optimale : or l'asthme, comme le diabète, demande une démarche éducationnelle longue et non reconnue par la nomenclature.
« Force est de constater que les pédiatres libéraux ne sont pas assez nombreux pour assumer toutes ces missions de plus en plus prenantes, déclare le Pr F. Beaufils. Il faut donc trouver des solutions pour leur permettre de remplir pleinement leur rôle dans le cadre de réseaux ville-hôpital et ville-ville, avec les généralistes et les spécialistes d'adultes, selon les cas ; demander aux pédiatres d'assumer de façon plus approfondie leurs missions les plus spécifiques suppose néanmoins une modification de la nomenclature des actes de consultation de manière que soient prévues, définies et honorées en conséquence des consultations souvent très longues. »
Précarité et adolescence
La précarité s'accompagne d'un mauvais accès aux soins, notamment pédiatriques, avec recours fréquent aux urgences hospitalières : « Toutefois, note le Dr B. Virey, la CMU tend à modifier les choses et nous commençons à voir des enfants que nous ne voyions pas. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que le choix de faire suivre son enfant par un pédiatre dépende du statut socio-économique. » En fait, ce sont surtout les ruraux qui, trop éloignés géographiquement des pédiatres, sont pénalisés.
Quoi qu'il en soit, les cas relevant de la précarité sont chronophages, tout comme la prise en charge des adolescents : « Que ce soit à l'hôpital ou en ville, les adolescents sont mal aimés car difficiles, constate le Pr P. Reinert. Pourtant, ils méritent une prise en charge spécifique, surtout quand ils présentent une maladie chronique : l'asthme tue surtout à l'adolescence, la mucoviscidose se dégrade souvent aux mêmes âges, notamment du fait d'une mauvaise observance, voire d'un refus de soins. Qui d'autre que le pédiatre peut assumer cette prise en charge, en préparant le passage à la médecine adulte ? Dans ces conditions, on ne peut que déplorer la rareté des structures spécialisées dans l'accueil des adolescents et le trop faible nombre de pédiatres libéraux pouvant s'impliquer dans la médecine de l'adolescence. »
La santé infantile ne peut être négligée
« A travers tous ces exemples, insiste le Pr F. Beaufils, on voit que, à l'hôpital les difficultés sont très importantes (encore n'a-t-on envisagé ici que la néonatalogie et les urgences, alors que les missions de l'hôpital sont beaucoup plus larges). En ville, elles sont également croissantes, ce d'autant que les missions des pédiatres ambulatoires sont aujourd'hui beaucoup plus larges, beaucoup plus diversifiées qu'elles ne l'ont jamais été. » On voit qu'ils sont trop peu nombreux pour assumer seuls l'ensemble de ces tâches, ce qui impose une redéfinition des pratiques. Cette évolution ne pourra se faire qu'avec une modification de la nomenclature et elle ne saurait remettre en cause la mission « généraliste » de la pédiatrie. Le développement d'une meilleure coordination des soins implique que les pouvoirs publics ne remettent pas en cause la nécessité d'une couverture pédiatrique suffisante du territoire et, surtout, que l'on cesse de brocarder les pédiatres, accusés de ne pas assumer les urgences. Cela est d'autant plus injuste que les pédiatres libéraux - trente fois moins nombreux que les généralistes - assument, à côté des urgences de leur cabinet, des urgences hospitalières et en clinique. En réalité, le pédiatre est, avec le gynécologue-accoucheur, le médecin qui assure le plus de gardes.
Clairement, il est urgent de former plus de pédiatres. Pour 2001, le nombre de postes de DES (internes du diplôme d'études spécialisées) a été porté à 167 contre 147 en 1999 et en 2000. L'effort doit être poursuivi jusqu'à 200 nouveaux postes par an si l'on veut simplement arrêter la décroissance du nombre de pédiatres (voir encadré).
(1) Participaient à cette table ronde les Prs Yannick Aujard (secrétaire du Collège des PUPH), François Beaufils (secrétaire général de la Société française de pédiatrie), Gabriel Bellon (président de la Société française de pédiatrie), Philippe Reinert (vice-président de la Société française de pédiatrie), les Drs Brigitte Virey (vice-présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire), Olivier Baud (président de l'Association des juniors en pédiatrie), Pierre Foucaud (président du Collège des pédiatres des hôpitaux généraux), Jean Grunberg (président du Syndicat national des pédiatres français), Jean-Christophe Mercier (vice-président du Syndicat des pédiatres en établissement hospitalier).
Le nombre des pédiatres est insuffisant et appeler à décroître
« Cinq mille sept cent quatre-vingt-deux pédiatres, cela représente 3 % de l'ensemble des médecins et 6 % des spécialistes alors que les enfants de moins de 15 ans sont à l'origine de 10 % des actes médicaux en ville (actes de consultation longs en pédiatrie) et 15 % des admissions à l'hôpital, constate le Pr F. Beaufils*. Même s'il n'est pas question de réserver en ville les soins d'enfants au pédiatre, ce chiffre est à peine suffisant surtout quand on sait que, que la moyenne d'âge des pédiatres est en augmentation (environ 50 ans) et que le taux de féminisation est très important (57 % pour l'ensemble et 80 % pour les pédiatres de moins de 35 ans), avec le choix fréquent d'exercices à temps partiel ou partagé. »
Or il va diminuer dans les prochaines années : de 250 par an jusque dans les années quatre-vingt, le nombre de pédiatres formés est passé à 110 par an à partir de 1984 et n'a amorcé une remontée que depuis 1999, alors que les départs en retraite vont aller en s'accroissant pour atteindre 200 par an en 2009.
Le résultat : des cabinets de pédiatres qui ferment faute de successeurs, la quasi-impossibilité de trouver des remplaçants, la quasi-absence des pédiatres en PMI (moins de 10 %), de nombreux postes vacants dans les hôpitaux, les difficultés mentionnées ci-contre dans les services de néonatalogie et d'urgences.
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