Face au patient, le médecin sûr de son incertitude

Publié le 29/03/2006
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LE DOUTE est constitutif de la démarche du médecin face à son patient. Le Collège des généralistes enseignants l’a analysé. Dans « Médecine générale – Concepts et pratique »*, les auteurs expliquent comment les médecins tentent de s’en libérer ou, plus exactement, comment ils exercent au coeur de ces incertitudes.

Un risque calculé probabiliste.

«Dans l’espace de temps d’une consultation ou d’une visite, c’est seul que le praticien déchiffre le problème qui lui est soumis et en tire les conclusions. C’est seul que, dans de nombreux cas, il accepte l’incertitude du moment et décide: d’attendre de l’évolution spontanée qu’elle vienne lever les doutes; de prendre le risque calculé probabiliste d’un choix diagnostique et thérapeutique immédiat; de demander des compléments d’information: examens complémentaires ou avis spécialisé; de confier le patient à une institution de soins. La consultation terminée, la porte refermée, le patient échappe au regard et à la surveillance du médecin.»

Le doute fait partie intégrante de l’approche du patient, les diagnostics différentiels et les pièges cliniques sont là pour le lui rappeler. L’art du médecin dans le colloque singulier consiste à l’intégrer et à prendre ses décisions en conséquence. «C’est dire toute l’attention qu’il doit y apporter (ndlr : dans ses décisions) , attention nécessaire pour que le patient bénéficie de soins aussi cohérents que possible malgré la diversité, parfois inévitable, des intervenants.»

Le doute n’est ni bien ni mal.

Une impression générale que confirme le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre (hôpital Bichat, Paris). Il l’affine en y ajoutant cette notion à ses yeux fondamentale : «Le doute n’est ni bien ni mal. Il convient d’accepter son propre niveau d’incertitude. Ne pas dénier son caractère et sa propre tolérance au doute.» Il propose d’ailleurs de la jauger par le biais d’une grille d’évaluation** (voir ci-contre).

Le doute peut naître du traitement de l’information, de son poids, dans la démarche médicale, poursuit-il. «Soit on doute par manque d’informations, comme face à un brouillard diagnostique ou thérapeutique; soit, au contraire, par excès d’informations, par exemple, face à plusieurs options thérapeutiques. »

Un autre élément peut entrer en ligne de compte et susciter l’incertitude : le malaise relationnel provoqué par le patient. La situation devient alors inconfortable pour le médecin et le doute naît. Ici, le soignant se positionne mal dans la relation médecin-malade, soit parce qu’il est confronté à un problème d’identification à son patient ; soit parce qu’il se montre agressif en raison d’une réaction contre-transférentielle ; soit, enfin, parce que le patient se montre séducteur, séduction intellectuelle ou liée à son charisme.

Le doute fait partie intégrante de l’exercice médical, il accompagne le médecin dans sa pratique. «Il s’agit de ne pas le dénier, de ne pas réagir en devenant agressif ou au contraire en affichant une impression de sûreté de soi trop marquée.»

«Notre tolérance par rapport au doute est liée à notre aptitude à supporter l’anxiété, car le doute est angoissant. Il faut pouvoir tolérer cette angoisse normale, ne pas la qualifier en termes positifs ou négatifs, mais en repérer les éléments et s’accepter.»

A chacun, donc, de se positionner face au doute et à ne pas se changer. C’est ainsi que le soignant peut exercer une « bonne médecine » en accord avec sa propre relation à l’incertitude.

* D. Pouchain, C. Attali, J. de Butler, G. Clément, B. Gay, J. Molina, P. Olombel, J.-L. Rouy, Masson, 1996.
** Michel Lejoyeux, « Overdose d’info », Seuil, 2006.

> Dr GUY BENZADON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7930