Pourquoi ne peut-on s'interdire de l'imaginer légèrement atrabilaire ? Pourquoi se dit-on qu'il a certainement des tendances hypocondriaques ? A cause de ses rôles ? Souvent à cause d'une manière qu'il a de sembler inquiet, parfois à cause de cette façon précautionneuse de tout son être ?
Il a fait un long voyage au cur de l'uvre de Louis-Ferdinand Céline. Le Dr Destouches et ses doubles lui ont fait approcher de près la médecine. Mais Fabrice Luchini clôt (très amicalement) d'un aveu toute discussion : « Il y a quelques années, j'ai eu un gros pépin, j'ai été très bien soigné, je m'en suis sorti. Quand on passe par là, on ne perd plus son temps à trop s'écouter et à sonder ses petits bobos, à imaginer on ne sait quel mal. Il y a un avant, un après. Et après, tant que ce n'est pas grave, on n'en rajoute pas. »
Voilà pour le patient Luchini. « D'accord, on pourrait parler de ma névrose... Le texte, le texte, le texte... ! Mais ce n'est pas une maladie. Je n'ai pas recours à la médecine pour cela, je m'en tire tout seul... »
Sérieux. Respectueux. Pudique. S'il faut parler du Dr Knock, c'est autre chose. Il a beaucoup à dire sur celui qui, lorsque la pièce commence, vient de passer sa thèse. « Trente-deux pages in-octavo : sur les prétendus états de santé, avec cette épigraphe, que j'ai attribuée à Claude Bernard : les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent. »
Une vocation
Drôle de médecin, le Dr Knock. « Mais il a fait de véritables études », souligne Fabrice Luchini, texte à l'appui de son argumentation. Assis devant une petite table du bar du théâtre de l'Athénée sur laquelle il a déposé une édition de poche de la pièce de Jules Romains, un volume lu, relu, feuilleté et annoté, il cite, avec ce merveilleux phrasé précis, éclairant, gourmand : « C'est pourtant simple. Il y a une vingtaine d'années, ayant dû renoncer à l'étude des langues romanes, j'étais vendeur aux Dames de France de Marseille, rayon cravates. Je perds mon emploi. En me promenant sur le port, je vois qu'un vapeur de 1 700 tonnes à destination des Indes demande un médecin, le grade de docteur n'étant pas exigé. Qu'auriez-vous fait à ma place ? »
Un affabulateur, un charlatan, Knock ? Non bien sûr. Au contraire. « Une vocation ! » commente en souriant Fabrice Luchini. « Il le raconte aussi à Parpalaid, le médecin dont il reprend la clientèle - et c'est lui qui se fait rouler, au début. Il explique comment, dès l'enfance, il lisait les annonces médicales et pharmaceutiques, dans les journaux, et comment il s'intéressait aussi aux modes d'emploi des boîtes de médicaments. Un autodidacte, certes, mais pas un escroc ! » martèle le comédien, convaincu.
Il ne s'intéresse guère, il en laisse le soin à son metteur en scène, Maurice Bénichou, à ce qu'il y aurait à lire par-delà la fable de Knock ou le triomphe de la médecine. Les exégètes n'ont pas manqué, depuis la création de la pièce, depuis le film qui en a été tiré et a tant contribué à populariser le personnage. Ainsi Olivier Rony, auteur de « Jules Romains ou l'appel du monde » (Laffont, 1992), livre-t-il quelques réflexions pour la production de l'Athénée : « La "prise de pouvoir" de Knock sur Saint-Maurice - émouvant et pathétique microcosme de n'importe quelle petite ville - n'est possible qu'en raison de l'abdication des hommes au profit de l'un d'entre eux. La pièce nous renvoie alors à un univers où l'homme providentiel bafoue l'esprit critique du citoyen, où celui-ci se dépouille - au propre et au figuré (nous sommes dans un cabinet médical -, où le "patient" se dénude devant l'homme de science de ses oripeaux d'homme prétendument civilisé pour ne plus offrir à celui qui le manipule que sa simple "guenille" corporelle. C'est de cette mise à nu que Knock me paraît détenir - encore aujourd'hui - sa puissance souterraine et renouvelée. »
« Je joue d'abord le texte, dit Luchini. Ma responsabilité, c'est de comprendre le texte. Je n'oublie pas que Louis Jouvet, qui l'a tant joué et qui s'interrogeait tant sur le sens, a dit : "En vingt et un ans, je ne me suis jamais approché de Knock, jamais eu une conversation avec lui. C'est un héros et un lyrique. C'est une énigme." S'il l'avouait, je peux bien dire que j'en suis au même point. »
Ecouter les autres
Le texte, toujours le texte. Il nuance. Il souligne que pour jouer Knock il faut l'engagement du comédien, pas seulement de l'acteur. Il ne faut pas faire l'acteur. Il faut écouter les autres - et ce bonheur-là, il le retrouve avec plaisir - et il revient toujours à cela : « Je ne peux pas dire que je le comprenne... », répète-t-il, sincère, en triturant son édition de poche. « Névrose ? se demande-t-il à haute voix et riant. Peut-être. Mais je ne connais pas d'autre moyen de faire entendre un texte que de m'y cogner jusqu'à épuisement. »
Quant à la fable ( « ce rêve », dit Maurice Bénichou, qui a demandé à Goury un décor en ce sens), n'est-elle pas un peu de l'ordre d'un cauchemar pour la petite bourgade ? « Il y a de cela, certes, reprend Fabrice Luchini. Ce n'est pas de l'ordre de la réalité. A la fin, lorsque Knock parle de l'intérêt supérieur de la médecine, on ne peut que penser qu'il est vraiment fou. » Et comme l'écrit Jules Romains, soudain « la lumière médicale » envahit tout le plateau. Knock est heureux : à Saint-Maurice et alentour, tout le monde est couché. La vie a un sens. « Un sens médical. » Fabrice Luchini sourit : « La charge est féroce, mais il y a une lucidité de Jules Romains, et, je dirai même une lucidité de Knock. »
Théâtre de l'Athénée, du 18 septembre au 23 novembre (01.53.05.19.19.) et FNAC et Quotidien spectacles. Knock sera ensuite présenté aux Célestins de Lyon et au Théâtre du Gymnase de Marseille.
La pièce fétiche de Jouvet
« Knock » s'inscrit dans une programmation qui a commencé la saison dernière : cinquante ans après sa mort, le 16 août 1951, toutes les pièces que Louis Jouvet a créées ont ou vont être proposées dans de nouvelles mises en scène.
« Knock » tient une place à part dans le parcours de Louis Jouvet. C'est sa pièce fétiche, sa pièce de recours : en un temps où les subventions étaient inexistantes ou, au mieux, maigres, il remettait à l'affiche ce petit bijou écrit tout spécialement pour lui par Jules Romains, pour renflouer les caisses. Elle avait été donnée pour la première fois le 15 décembre 1923 à la Comédie des Champs-Elysées. Jusqu'en 1950, Jouvet joua le rôle 1 440 fois le rôle. « Knock, c'était son Aillagon », dit Luchini, amusé.
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