EN GUISE DE PRÉAMBULE, nous répéterons ici ce que nous disions la semaine dernière : la libération de Florence Aubenas et de son guide, Hussein Hanoun, est peut-être ce qui est arrivé de mieux aux Français depuis quelques années. La journaliste de « Libération » est une héroïne, dès lors que l'héroïsme consiste à subir, avec la grâce qu'on reconnaît maintenant à Florence, l'épreuve de l'enlèvement, de la mise au secret, de l'inconfort, du manque d'hygiène, des coups, de la soumission à des geôliers brutaux. Le gouvernement, qui l'a sortie de cet enfer, mérite des éloges, avec une mention spéciale pour les agents secrets et les diplomates qui ont mené à bien une opération extrêmement difficile.
Un parcours sans fautes.
Florence Aubenas, depuis le moment où elle a été libérée, a fait un parcours sans fautes. Elle a répondu avec le sourire à des questions agressives qui ne servaient que l'ego de ceux qui les posaient ; elle a complètement dépolitisé la détention en tournant en dérision les absurdités kafkaïennes de sa relation avec ses gardiens ; elle a mis en avant les moments les plus drôles de ses 157 jours de peur et de solitude ; elle n'a jamais prononcé de diatribe contre les auteurs du rapt, ni souligné leur manque de scrupules.
Elle n'a pas semblé pour autant atteinte du syndrome de Stockholm. Elle n'a pas adressé de compliments aux ravisseurs, mais ils ne sortaient sûrement pas grandis de ses descriptions. En gros, elle nous a expliqué qu'elle avait affaire à une bande d'idiots, confits dans la routine de la violence et du marchandage. Elle souhaitait montrer principalement que l'ignominie conduit à des contradictions et qu'elle se nourrit plus de la bêtise que de la cruauté.
On n'en voudra sûrement pas à Hussein Hanoun d'être différent de Florence Aubenas. Il nous semble, mais nous n'en sommes pas sûrs, qu'il a plus souffert qu'elle, peut-être parce qu'il ne se faisait aucune illusion sur le comportement de ses gardiens au cas où la négociation échouerait. Cette lucidité ne s'est pas accompagnée non plus d'une bruyante indignation. Il a plutôt donné l'impression qu'il les comprenait ; dans un entretien que « le Monde » a publié dès le 13 juin, il a décrit les preneurs d'otages comme des « sunnites salafistes modérés, antiaméricains » qui, quand ils ont appris qu'il était chiite, lui ont quand même dit qu'ils le considéraient comme un frère. M. Hanoun n'a pas eu une seule épithète désobligeante pour ses ravisseurs.
LES RAVISSEURS DE FLORENCE ET HUSSEIN SONT DES CRIMINELS QUI MÉRITENT UN CHÂTIMENT SÉVÈRE
Appeler un crime un crime.
Mardi dernier, Florence Aubenas, dans l'extraordinaire conférence de presse qu'elle a tenue, a raconté un épisode à la fois très drôle et très inquiétant. Quand, enfin, ils ont annoncé aux deux otages qu'ils allaient les libérer, les ravisseurs, comme les gardiens de Fresnes ou de la Santé, ont tenu à leur rendre tous les effets et l'argent qui leur appartenaient. Hussein a alors dit à Florence, comme s'ils quittaient un palace de Bagdad, qu'il serait plus convenable qu'elle laissât un petit cadeau. « Ici, c'est la tradition », lui a-t-il dit très sérieusement. Et elle lui a répondu : « Pas pour moi. Tu comprends, c'est la première fois (que ça m'arrive). »
Elle n'allait sûrement pas chipoter et risquer de compromettre une libération tant attendue et s'est donc exécutée. Elle a bien fait.
Malheureusement, Hussein Hanoun l'a conviée à un geste inutile et dangereux, bien plus coûteux, en réalité, que la modeste obole qu'elle a laissée.
M. Hanoun peut avoir sur toute chose irakienne le point de vue de l'Irakien ; il peut désigner la religion et les convictions politiques de ses ravisseurs ; il peut avoir une conduite déterminée par sa culture. Il ne peut pas ne pas appeler un crime un crime. Quand on dit que le mot assassin vient de l'arabe, on est accusé de racisme ; aussi bien la meilleure manière d'échapper à ce genre d'accusation, c'est de nier avec force que l'enlèvement fasse partie de la culture arabe. La tradition du pourboire est innocente ; le pourboire payé au bourreau est indécent. M. Hannoun aurait dû s'en rendre compte.
Bien entendu, il se peut fort bien que le bonheur de la libération lui ait fait voir ses ravisseurs sous un autre jour ; sous l'empire de la joie, il les aurait embrassés ! Mais dans ses déclarations au « Monde », il nous a paru soucieux de définir les ravisseurs en termes politiques, ce qui a pour effet de les décriminaliser.
Le problème ne vient nullement de M. Hanoun mais du fait que, dans les débordements d'enthousiasme collectifs, nous risquons de perdre de vue que la prise d'otages est un crime d'une gravité insigne, que les ravisseurs de la journaliste française et de son guide méritent de passer en justice et d'être châtiés sévèrement, quel que soit par ailleurs leur engagement politique, que Florence Aubenas et Hussein Hanoun sont des victimes, non d'un phénomène climatique ou d'une éruption de volcan, non d'une catastrophe naturelle, mais des agissements d'une bande de voyous d'une insigne brutalité. Toutes les prises d'otages ne finissent pas dans le feu d'artifice d'une fête nationale. En Irak, des dizaines d'otages ont été assassinés de sang-froid, souvent par décapitation au sabre. Quelqu'un aurait rappelé le sort épouvantable de Daniel Pearl après la libération de Florence Aubenas que nous n'en aurions pas été choqués.
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