À ne plus pouvoir en douter, il y aura une période avant et une période après Médiator qui se joue en trois rounds.
Le rapport très dense remis par l’Inspection générale ouvre la deuxième étape de la crise sanitaire, politique et médiatique qui menace le système de santé français.
À en croire le ministre de la Santé, la recherche des responsabilités dans cette considérable affaire sanitaire devrait être brève, nécessaire et douloureuse. Elle devra faire le lit de toutes les approximations, les manipulations, les amalgames et les mensonges. Elle permettra d’abord de savoir combien il y a eu de victimes malheureuses. En tout cas sans doute pas trois, comme l’a affirmé un temps le laboratoire Servier !
Tous les acteurs de la chaîne de soins devront s’excuser d’avoir failli directement ou indirectement, par négligence ou par compromission. Nous entrons donc inexorablement, dans cette étape de quelques mois de rapports, d’enquêtes en tous genres et de procès pour tenter de remettre les choses à l’endroit.
Une démocratie comme la nôtre, politique et sanitaire, le doit aux victimes de cette gigantesque affaire d’iatrogénie médicamenteuse qui atteint tout le système de santé. De ce point de vue, nous devons tous nous considérer comme des malades du Médiator.
Dans cette même période, des mesures seront prises pour améliorer la gouvernance de l’Afssaps et de la HAS, du ministère et de la sécurité sanitaire. Il s’agira de repérer les dilutions de responsabilités et les conflits d’intérêt. Mais aussi de mieux permettre aux professionnels de santé curieux et attentifs d’alerter les autorités en cas de constatations d’effets indésirables liés à des traitements. Qu’il ait fallu une jeune femme médecin « héroïque » et un journal seul, Prescrire, pour nous réveiller est à la preuve d’une dilution des responsabilités.
La troisième partie devra être celle de la confiance retrouvée.
Cette étape sera longue, comme elle le fut pour l’affaire du sang contaminé. Plusieurs années seront nécessaires pour remettre sur les rails le système de sécurité sanitaire. Il faudra reconstruire pas à pas des organisations de contrôle et des systèmes d’alerte, tant la culture de santé publique est toujours insuffisante. Les constructions d’agences de santé publique n’auraient fait que masquer le jeu des intérêts d’argent et de pouvoir. Ce travail de restauration de la confiance est nécessaire pour les malades et leurs médecins, pour les professionnels de santé et les industriels, les fonctionnaires des administrations et des agences de tutelle. Tous constituent des couples obligés, indépendants, mais interdépendants. Patients que l’on croyait avoir mis au centre du système de soins, alliés aux professionnels de santé ; industrie pharmaceutique et biomédicale qui doit rester associée dans la chaîne de soins, mais mieux encadrée et contrôlée, État et ses administrations laxistes, mais nous aussi, presse médicale, vecteur de formation et d’information des professionnels de santé essentiels, mais très fragiles. Il y aura des enseignements à tirer de cette douloureuse mésaventure. Il faudra beaucoup changer sans pour autant casser le développement de la recherche et de l’innovation qui reste fondé sur des rapports de travail et de collaborations entre les acteurs publics et privés. Le système de santé a sans doute failli de ses succès, de sa suffisance, de l’argent facile et d’endormissement. Il peut être criminel de ne pas le contrôler ; le corseter et l’anesthésier peut aussi tuer le progrès médical.
La première étape aura duré trente ans. Elle est jonchée d’erreurs faites par le laboratoire pour imposer une molécule sans intérêt. Une molécule qui n’était pas ce que les chercheurs de Servier pensaient qu’elle pût être – et auraient aimé qu’elle fût – et dont les responsables se sont efforcés de masquer les effets toxiques. Dans le rapport de l’Igas, les critiques sont implacables contre le laboratoire qui est diabolisé, « voué aux gémonies » et sali. Le laboratoire tentera de répondre à toutes les critiques qui lui sont faites sur ses erreurs et ses fautes. Les rapporteurs de l’Igas n’ont pu, en raison de leur statut, les interroger. Avec les autres enquêtes, nous pourrons séparer « le bon grain de l’ivraie ». Les manipulations de rapports, si elles ont eu lieu, ne sont pas tolérables. Mais la formation de jeunes médecins qui lui est reprochée constitue aussi pour un grand acteur industriel français comme l’est Servier, un engagement sociétal qui pallie les insuffisances du système universitaire. Éliminer tous les praticiens des essais cliniques et ne plus compter sur les laboratoires pour aider les associations de patients (cf. dossier pp. 10 à 15) seraient bien hasardeux.
Personne ne doit se réjouir de la mise à terre d’une grande entreprise française qu’il serait souhaitable de protéger des autres et d’elle-même. Mais pour ne pas céder à la peur et en hommage aux victimes, l’examen des faits et la correction des erreurs s’imposent.
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