Décision Santé. Quel est votre jugement sur la politique de recherche menée par l’actuel gouvernement.
Pr Arnold Munnich. Avant de juger une nouvelle équipe sur ses actes, on la reconnaît sur la valeur des hommes et des femmes qui la composent. Je me suis réjoui très sincèrement des nominations de conseillers tant au cabinet de Geneviève Fioraso qu’à la présidence de la République. Beaucoup sont des intimes. Tous disposent d’une réelle légitimité. Je les ai sollicités lors des grandes réformes entreprises au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ils ont toujours répondu présent. Nous avions rêvé alors d’une France qui relèverait la tête. Au cours des grandes réunions internationales, ce souffle nouveau commençait à se faire sentir. « France is changing », entendait-on dans les couloirs. Les collègues de l’actuelle majorité partageaient déjà avec nous cette ambition. Rappelons la participation d’Olivier Lyon-Caen (NDLR, conseiller recherche de François Hollande) aux différentes commissions, Marescaux par exemple. Il ne faut pas s’étonner dans ce contexte que les changements soient à la marge. Le constat sur la faiblesse de notre recherche universitaire était partagé par tous. Il y avait aussi un consensus sur les réponses à apporter, par exemple avec la création des IHU. Je serai donc loyal à mon tour avec l’équipe actuelle, parce que l’on ne fait pas de politique politicienne sur des sujets largement consensuels. D’autant que toute l’action que j’ai menée entre 2007 et 2012 comme conseiller de Nicolas Sarkozy, je l’ai transmise sur une clé USB à Olivier Lyon-Caen ! Gardons nous des postures et des joutes stériles. Elles ne sont plus de mise. Il faut aller de l’avant, et pousser tous ensemble dans une même direction, celle de la compétitivité de notre recherche et de sa valorisation.
D. S. Pourtant, la recherche médicale serait à un tournant.
Pr A. M. Nous ne sommes pas allés assez loin ! C’est de notre faute. Lorsque la réforme sur l’autonomie de l’université a été promulguée, la cohérence de l’action publique aurait voulu que soit d’emblée opérée une réduction de la voilure des organismes de recherche. Dès lors que les universités devenaient de facto des opérateurs de recherche, les organismes étaient naturellement appelés à se transformer progressivement en agences de moyens à la manière d’un tuteur, d’un imprésario, d’une sorte d’Enchanteur Merlin, qui fait les rois et les reines... La mission des organismes aujourd’hui n’est pas, me semble-t-il, de se substituer aux universités devenues autonomes, mais de les aider à prendre leur envol. De venir en appui du processus d’autonomisation. Après tout, un organisme de recherche n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen pour répondre à une grande ambition nationale, pour atteindre un objectif collectif. On se souvient des circonstances de leurs créations avant et après la guerre. Mais c’était il y a soixante-dix ans et le monde a changé ! Les organismes de recherche aussi doivent s’adapter au monde d’aujourd’hui et laisser grandir nos universités. Sont-ils prêts à abdiquer une parcelle de leur pouvoir ?
D. S. Comment cela se traduit-il en pratique ?
Pr A. M. Je vous ai dit mon attachement à la cohérence de l’action publique. Je voudrais y ajouter mon attachement à un autre principe, celui de la séparation des pouvoirs, hérité des Lumières. Nul ne peut être juge et partie, nul ne peut être le donneur d’ordre et celui qui met en œuvre une action publique. Prenons trois exemples, le financement de la recherche, son évaluation et sa valorisation.
Le financement sur projets est reconnu dans le monde entier comme le plus performant. Il ne peut être confié à celles et ceux qui les mettront en œuvre. C’est une question élémentaire de division des pouvoirs. Ce financement est externalisé, assuré par une agence indépendante, l’ANR, qui finance sur la seule base de leur mérite les projets qui lui sont soumis. ll faut, bien sûr, aux organismes un financement pour faire vivre les unités de recherche et impulser des actions nouvelles. Mais la grandeur d’un organisme ne se mesure pas à son budget. Il se juge à sa capacité à dynamiser notre recherche, à l’encourager, à impulser des actions nouvelles. Je ne suis pas sûr que cette vision qui est la mienne soit partagée par tous..
L’évaluation aussi doit être indépendante, performante et respectée. Nul ne peut s’auto-évaluer, s’auto-autocongratuler, s’autodélivrer en permanence des satisfecit. Je suis très attaché à cette évaluation indépendante et impartiale, confiée à l’Agence de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES).
Mon inquiétude porte davantage encore sur la valorisation de la recherche. Car là est le levier de la croissance et de l’emploi. Notre réforme a donné naissance aux sociétés d’accélération du transfert technologique (SATT), dont dix ont été créées dans les dix grandes plaques universitaires, dont deux en Ile-de-France. Elles ont été dotées en capital. Et sont animées par des équipes jeunes et dynamiques. La création de valeurs ne se décrète pas depuis un cabinet ministériel, une administration centrale ou une direction générale. On ne peut valoriser des projets par télécommande. Les maîtres mots de la valorisation sont proximité, réactivité, flexibilité. Là encore, nous n’avons rien inventé : c’est ainsi chez les meilleurs, en Amérique du Nord, en Europe, en Israël Et ca marche !! Si la valorisation de la recherche française est décevante au regard du potentiel de notre pays, c’est la conséquence de notre organisation centralisée, colbertiste, souvent hautaine. Si on veut sérieusement inverser la courbe du chômage, créer la croissance et de l’emploi dans le secteur des sciences du vivant et de la santé, alors il faut aller au bout de cette logique, laisser vivre les SATT, leur faire confiance et non pas s’en méfier. Il faut renouer avec l’initiative individuelle, avec l’esprit d’entreprise, y compris dans le périmètre de l’hôpital universitaire. Nous n’avons pas été jusqu’au bout de la logique lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Nous aurions dû supprimer certaines fonctions pour éviter le blocage constaté aujourd’hui. L’égalité des chances au départ ne signifie pas que nous nous valons tous à l’arrivée. Notre recherche, c’est notre pétrole. C’est là que se nichent les gisements de valeur pour les générations prochaines. Il faut arbitrer clairement en faveur des SATT et leur donner leur chance. Il y va de la croissance et de l’emploi dans tout le secteur des sciences biomédicales en France
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature