Il est difficile de dater avec précision l'apparition du premier des primates, à l'origine des 9 000 espèces qui ont successivement peuplé la planète (seulement 235 subsistent aujourd'hui, dont l'homme).
Pourtant, biologistes moléculaires et paléontologues du monde entier y travaillent depuis des décennies. Les premiers traquent les preuves de l'évolution enfouies dans l'infiniment petit, l'ADN ; tandis que les seconds s'appuient sur des indices visibles à l'il nu, à partir des fossiles. Mais leurs résultats concordent rarement.
Pour les paléontologues, les premiers primates seraient apparus il y a au maximum soixante-cinq millions d'années, sachant que l'âge du plus vieux fossile connu est de cinquante-cinq millions d'années. Comme il existe diverses façons de construire et d'interpréter un arbre phylogénétique, les biologistes moléculaires fournissent une fourchette de temps beaucoup plus large et imprécise.
Le célèbre primatologue Robert Martin (Field Museum, Chicago, Etats-Unis) espère, avec les nouveaux travaux qu'il vient de publier*, être à l'origine d'une réconciliation entre les deux familles de chercheurs.
Avec son équipe, le scientifique a eu l'idée de traiter simultanément, via un outil informatique très puissant, des données statistiques à la fois moléculaires et morphologiques, provenant de fossiles de primates. Le résultat est très surprenant : l'ordinateur fait remonter l'origine de notre règne à 85 millions d'années.
Cohabitation
Cette conclusion, si elle était confirmée, aurait de nombreuses implications. Première déduction : les primates auraient cohabité avec les dinosaures. Ce qui va à l'encontre de la théorie largement répandue selon laquelle les primates n'auraient pas pu s'implanter avant la fin du Crétacé, date à laquelle un astéroïde a heurté la Terre de plein fouet, anéantissant les dinosaures et laissant le champ libre aux animaux plus petits et plus fragiles.
Si les dates de divergence sont effectivement à revoir au sein de l'arbre des primates, il est probable que la séparation homme-chimpanzé s'est produite il y a huit millions d'années, et non cinq millions d'années, comme il est communément admis, affirme, en outre, Robert Martin. « Les interprétations actuelles sur l'évolution de l'homme et des primates sont faussées parce que les paléontologues comptent trop sur l'interprétation directe des données issues des fossiles connus, explique-t-il. Nos calculs indiquent que nous ne possédons des fossiles que pour 5 % des primates éteints ; c'est donc comme si les paléontologues essayaient de reconstruire un puzzle de 1 000 pièces avec 50 pièces. »
« Pour beaucoup d'espèces, on ne connaît qu'un spécimen », ajoute Robert Martin, et, souvent, « on dispose de très peu de dents ; de plus, les os sont en fragments ». Donc, pour lui, les conclusions tirées à partir des seuls fossiles sont faussées.
La durée des espèces
Les critiques acerbes du primatologue américain à l'encontre de la paléontologie passent mal ; Marc Godinot, paléontologue au Muséum d'histoire naturelle, réfute les arguments avancés, et parie que nombre de paléoprimatologues réagiront comme lui. « Robert Martin oublie que la probabilité de découverte d'un fossile dépend fortement des conditions géologiques (plus ou moins favorables à la préservation des fossiles), ainsi que du nombre de recherches menées. Certains pays peu développés n'ont pas l'argent nécessaire à ce genre de fouilles. »
En résumé, les paléontologues sont conscients que l'absence de fossiles découverts ne signifie pas forcément l'absence de fossiles. S'ils avancent la date de - 65 millions d'années pour l'apparition des primates, c'est pour d'autres raisons, appuyées sur des comparaisons morphologiques entre fossiles.
Marc Godinot va plus loin dans sa critique, et conteste complètement le contenu de l'article de « Nature ». « Je ne crois pas du tout à une origine des primates vieille de quatre-vingt-cinq millions d'années, déclare-t-il. L'approche statistique de Robert Martin me semble biaisée de toutes parts. Le modèle est basé sur une moyenne de durée des espèces égale à deux millions et demi d'années. Or il est fréquent que les espèces "changent" tous les 500 000 ans. En plus, Robert Martin semble complètement ignorer les travaux de ses collègues français, car Yves Coppens a déjà démontré, fossile africain à l'appui, que la séparation homme-chimpanzé s'est passée il y a environ huit millions d'années. Dernier détail regrettable, les données moléculaires ont un rôle prépondérant dans son étude, les données issues des fossiles passent au second plan. »
La réconciliation entre molécularistes et paléontologues n'est donc pas gagnée. Une chose est sûre : la polémique qui entoure les origines des primates et, en filigrane, les origines de l'humanité n'est pas près de prendre fin.
* Résultats publiés dans la revue « Nature » du 18 avril 2002.
Déjà des armes au temps de Neandertal
En 1979, un squelette a été découvert près du village de Saint-Césaire, en Charente-Maritime. Celui d'un jeune adulte d'il y a 36 000 ans, un néandertalien. Ce pauvre homme a reçu un coup sur la tête, probablement donné avec une arme contondante, dont il n'est pas mort.
Des chercheurs de l'université de Zurich ont étudié la fracture du crâne en utilisant des techniques de reconstruction par ordinateur en trois dimensions. De sa localisation et de son aspect, ils déduisent, après avoir éliminé les causes médicales, un accident de chasse ou la chute sur un objet tranchant, que l'homme de Saint-Césaire a sans doute été attaqué par un de ses congénères. Les signes de cicatrisation de l'os indiquent que la blessure n'a pas été fatale, mais les auteurs font l'hypothèse qu'elle a été assez grave pour que la vie de l'homme ait été en danger sans le soutien des autres néandertaliens.
L'étude, publiée aujourd'hui dans les « PNAS » (« Proceedings of the National Academy of Sciences »), voit dans ces constatations la preuve que la violence intragroupe et les armes existaient déjà chez l'homme de Neandertal. Si l'agression intragroupe est fréquente chez les primates, rien n'indique que les primates non humains utilisent intentionnellement des outils comme armes. Pour les auteurs, l'utilisation d'instruments lors de conflits entre personnes était probablement présente au début de l'évolution des hominidés. Ce fait, qui représente un degré supplémentaire de complexité des interactions sociales, peut avoir été un facteur majeur de l'évolution du comportement de ces hominidés.
A quoi ressemblait le premier des primates
Robert Martin décrit avec une certaine précision l'aspect physique que devait avoir le père des primates. A l'en croire, c'était une « créature très petite », « pesant une livre tout au plus », nocturne, vivant dans les arbres. Une sorte de version primitive des lémuriens actuels, avec un cerveau minuscule.
Ses mains et ses pieds très puissants lui permettaient, en bas âge, de solidement s'accrocher à la fourrure de sa mère. L'animal repérait sa nourriture, composée de fruits et d'insectes, grâce à de grands yeux projetés vers l'avant. « Comme les humains, la bête avait un faible taux de reproduction, sans doute en lien avec un intense investissement avec ses descendants », affirme Robert Martin.
Attention aux descriptions hâtives, précise Marc Godinot, car, rappelle-t-il, « si l'on peut, à juste titre, s'inspirer de ce à quoi ressemblait les autres petits mammifères de l'époque, on ne dispose d'aucun fossile des tout premiers primates ».
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