L'APPRÉCIATION de la situation des comptes de la Sécurité sociale est une affaire d'optique : le diagnostic peut changer selon que l'on regarde plutôt le solde, les recettes ou les dépenses. Muni de sa double casquette de ministre de la Santé et de porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand s'est félicité du redressement des comptes sociaux, en soulignant dans « le Journal du Dimanche » que le déficit du régime général avait été limité à 8,7 milliards d'euros fin 2006 (– 25 % depuis 2004), toutes branches confondues, «au lieu des 9,8milliards initialement prévus».
Pour la seule assurance-maladie, il rappelle que le solde a été ramené à «–5,9milliards d'euros contre –6,1milliards prévus» par la Commission des comptes de la Sécurité sociale (Ccss). D'où un déficit «divisé par deux en deux ans» dans cette branche(1). Ces résultats ont été obtenus notamment grâce à de «bonnes recettes de cotisations sociales» (liées aux «créations d'emploi») et aux «efforts des Français» sur les dépenses d'assurance-maladie, a expliqué le ministre.
Le ministère de la Santé a souligné «la progression maîtrisée des dépenses d'assurance-maladie» et le chemin parcouru depuis la réforme Douste-Blazy : l'augmentation des remboursements a été «contenue légèrement au-dessus de 3% en 2006 contre 4% en 2005, 4,9% en 2004 et 6,4% en 2003». De son côté, la direction de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) précise que, sur l'année 2006, ce sont «les dépenses de soins de ville (honoraires, médicaments, arrêts de travail) » qui ont «progressé à un rythme historiquement bas, +2,2% contre 6,5% en moyenne sur la période 1998-2003».
La procédure du comité d'alerte.
Mais ce regard rétrospectif sur les dépenses maladie occulte en fait un avenir plus sombre. En effet, le ralentissement des dépenses d'assurance-maladie risque de ne pas durer et c'est là où le bât blesse. Rappelons qu'en 2006 déjà, Xavier Bertrand a évité de peu le déclenchement de la procédure du comité d'alerte (2) en mettant en place un plan d'urgence visant à économiser 350 millions d'euros au dernier trimestre. Face au dérapage des dépenses d'hospitalisation, le ministre avait alors décidé une baisse des tarifs des cliniques et pris de nouvelles mesures en sus du plan Médicament. Ce dernier «n'a pas donné tous ses résultats» car «la baisse des prix est entrée en application tardivement», a reconnu Xavier Bertrand.
Non seulement l'Ondam a été respecté de justesse en 2006, mais depuis le début de l'année 2007, les soins de ville, « bons élèves » l'an passé, ont commencé à dérailler dans un contexte épidémique (+ 7 % en janvier hors produits de santé). Or l'accord signé dans la nuit du 16 au 17 mars avec les syndicats Csmf, SML et Alliance ne va pas arranger les choses, selon des observateurs.
Jean-Marie Le Guen, député PS et représentant de la candidate socialiste Ségolène Royal, estime que le satisfecit de Xavier Bertrand sur les comptes de la Sécu est «en trompe-l'oeil». «Outre le fait que la très relative amélioration des résultats annoncée par le ministre de la Santé (…) n'est due qu'à l'augmentation des recettes, les dépenses de 2006 et 2007 ne cessent en réalité de dépasser les limites fixées», a dénoncé cet élu chargé des questions de santé pour le groupe PS à l'Assemblée nationale. «On peut déjà anticiper l'intervention du comité d'alerte qui entraînera des baisses de remboursement», a-t-il ajouté.
Un avis partagé par le président de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) lui-même. Dans un communiqué, Michel Régereau affirme que l'accord tarifaire conclu avec les médecins libéraux, «sous la pression du gouvernement (…) , prend le risque de déclencher le comité d'alerte. Ce faisant, il peut pénaliser à nouveau les malades et les assurés sociaux».
Deux des syndicats médicaux signataires ont, bien sûr, un autre point de vue. La Csmf souligne «l'engagement déterminant des médecins libéraux dans la maîtrise médicalisée des dépenses», qui a permis aux dépenses de soins de ville de connaître en 2006 «leur taux le plus bas depuis 1997». Le SML fait de même valoir le «rôle d'amortisseur des dépenses de ville» des médecins libéraux ainsi que «l'autofinancement» (par la maîtrise des prescriptions et la coordination des soins) de «toutes les revalorisations tarifaires intervenues depuis 2005».
Enfin, pour éviter à l'avenir l'intervention du comité d'alerte, la Csmf et le SML plaident en faveur d'un Ondam «négocié et tenable», donc «plus réaliste». Selon les termes mêmes de l'accord, un tel Ondam faciliterait bien sûr la revalorisation du C à 23 euros au 1er juin 2008.
(1) Le trou de la branche maladie était de 8 milliards d'euros en 2005 et de 11,3 milliards en 2004.
(2) Institué par la loi du 13 août 2004, le comité d'alerte est composé de trois experts qui sont chargés de demander des mesures de redressement dès que l'Ondam (objectif national de dépenses d'assurance-maladie) est dépassé de 0,75 %.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature