La médecine fondée sur les niveaux de preuve repose aujourd'hui sur le postulat suivant : pour décider d'une quelconque intervention chez un patient donné, il faut tenir compte à la fois de sa propre expérience clinique, des données de la recherche et des préférences du malade.
C'est bien sûr l'expérience clinique du praticien qui prévalait jusqu'alors, les données de la littérature n'étant réservées qu'aux seuls thérapeutes disposant du temps suffisant, du niveau scientifique requis pour les analyser, et qui, avant tout chose, pouvaient y avoir accès. Quant aux souhaits ou préférences du patient, ils n'ont fait leur entrée dans la réflexion médicale que très récemment, en partie sous l'impulsion, parfois musclée, des associations de malades porteurs du VIH...
Ainsi, pour chaque patient, la démarche recommandée par les tenants de l'EBM devrait respecter les étapes suivantes :
- définir le problème à résoudre ;
- chercher les meilleures preuves disponibles (evidences) pour y répondre ;
- évaluer de manière critique la validité de ces preuves ;
- intégrer ces éléments de preuve en tenant compte des préférences du malade et de l'expérience du médecin pour en déduire une démarche concrète, applicable au patient considéré.
Un raisonnement de nature, en somme, à emporter le plus large consensus auprès des thérapeutes mais qui n'est pas sans poser de problème dans ses deux points intermédiaires - la recherche et l'analyse critique de la littérature - à l'heure où plusieurs milliers de publications médicales paraissent quotidiennement.
En effet, le premier point s'impose en général de lui-même, le dernier relève de l'art de la médecine et confère toute sa noblesse à cette démarche logique : quelle que soit la validité des preuves rassemblées pour résoudre le problème donné, il appartient au médecin de décider en accord avec le patient s'il doit ou non appliquer la démarche thérapeutique en faveur de laquelle plaide la synthèse extraite de ces preuves. Cette dernière ne constitue donc qu'un outil dans les mains du thérapeute et en aucun cas une vérité inaltérable. Cette position, on le comprend, nous éloigne des conclusions parfois péremptoires de certains commentaires de métaanalyses laissant à penser que 100 % des patients doivent être traités de façon univoque, et s'inscrit davantage encore en contradiction avec le caractère opposable des RMO, formes dévoyées des recommandations de bonne pratique clinique au service de la réduction des coûts de santé.
Pour ne pas inlassablement réinventer la roue
Reste donc le problème de l'analyse de l'incroyable masse d'informations aujourd'hui disponibles sur chaque situation médicale et de sa synthèse un jour donné. En effet, une métaanalyse parue le lendemain peut remettre en cause les enseignements de la veille. Idéalement, chaque médecin devrait être en mesure de s'abreuver directement à la source même de l'information médicale brute : articles originaux, base des données... C'est bien sûr quasiment impossible en pratique. Il apparaît donc impératif d'utiliser aujourd'hui des données secondaires, de deuxième main en quelque sorte, sans la connotation péjorative de cette expression, fournies par des équipes de confiance dont le travail consiste précisément à lire de façon exhaustive l'ensemble de la littérature disponible sur un sujet donné et d'en faire une synthèse rapidement utilisable. Les intervenants de la Cochrane Collaboration (1), dont les conclusions, très fréquemment remises à jour, reposent sur des revues systématiques de la littérature sur des domaines particuliers, en représentent l'un des exemples les plus crédibles, tout comme les équipes de l'EBM Journal (2) (du groupe de publications du « BMJ », de la British Medical Association, de l'American College of Physicians et de l'American Society of Internal Medicine) qui sélectionnent une minorité d'articles parmi les plus intéressants d'une spécialité, correspondant impérativement à certains critères de qualité.
L'obsolescence de plus en plus rapide de ces données de deuxième main peut devenir leur principal point faible. Emettre une synthèse de la littérature sous-entend un dispositif logistique suffisamment lourd pour mener à bien une revue systématique à un moment donné, mais suffisamment souple pour la renouveler peu de temps après. Dans le domaine de l'arthrose par exemple, les recommandations européennes émises en février 2002 apparaissent déjà dépassées avant même d'avoir été publiées... Deux des dix principes de la Cochrane Collaboration sont précisément : rester en prise avec l'actualité et assurer une continuité de publication.
Des recommandations mondialisées
La prise en compte rapide des dernières avancées médicales par les émetteurs de recommandations de bonnes pratiques est en effet un élément essentiel. C'est donc une publication et une remise à jour harmonisées à l'échelon mondial de ces recommandations et non plus pays par pays qui devrait tendre à s'imposer.
A cet égard, le réseau Internet rend des services inestimables dans le domaine de la recherche de données par la mise à disposition souvent gratuite d'une masse gigantesque d'informations très facilement et rapidement remises à jour - si l'on doit le comparer avec les délais nécessaires de réimpression et de distribution d'un livre tel que « Clinical Evidence » (3), bible de l'EBM, tiré à plus de 400 000 unités.
L'Internet permet en outre l'émergence de nouveaux outils tels que les « comparateurs (4) de recommandations médicales » qui, pour chaque thème envisagé, extraient les différentes recommandations émises à son sujet, soulignent les différences entre ces diverses références et tentent en outre d'expliquer les raisons probables de ces discordances !
Nous l'évoquions plus haut, le dernier mot n'en reste pas moins celui du thérapeute, seul juge de l'opportunité d'appliquer ou non les recommandations selon que son patient est ou non comparable à ceux retenus dans les textes de référence, selon que les moyens diagnostiques et thérapeutiques à sa disposition correspondent ou non à ceux cités dans les études de référence, selon, enfin, la disposition du malade vis-à-vis du traitement proposé...
D'après un entretien avec le Pr Philippe Ravaud, chef du département épidémiologie et biostatistique de l'hôpital Bichat, Paris.
(1) www.cochrane.org.
(2) http://www.ebm-journal.presse.fr/ pour sa version française.
(3) www.clinicalevidence.com.
(4) sumsearch.uthscsa.edu/.
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