« Nous avons eu un réflexe citoyen. Nous avons voulu défendre deux collègues en grande difficulté qui ne méritent pas la sanction judiciaire, ni tout ce tapage médiatique », explique le Dr Christian Le Corre au « Quotidien ».
Médecin généraliste attaché à l'hôpital de Saint-Astier, en Dordogne, le Dr Le Corre a fondé, il y a un mois, un comité de soutien avec dix autres soignants (médecins, aides-soignantes et infirmières) pour venir en aide à une infirmière et à une généraliste de l'hôpital mises en examen, l'une pour « empoisonnement » et l'autre pour « complicité d'empoisonnement ».
Le 25 août dernier, dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital, le médecin généraliste rend visite à une patiente de 65 ans, la belle-mère de sa sœur. Malade d'un cancer du pancréas, elle est en phase terminale. « Même les 360 milligrammes de morphine qu'elle avait ne pouvaient la calmer, commente le Dr Le Corre. Elle était dans un semi-coma et souffrait d'occlusion, avec des vomissements fécaloïdes », ajoute-t-il. Une mort estimée sous 48 heures, que souhaitait au plus vite la malade, selon plusieurs témoignages.
Dans l'après-midi, la généraliste, qui continue d'exercer, laisse une prescription à l'infirmière de nuit : l'augmentation des doses de morphine et l'injection de potassium. L'infirmière a reconnu avoir pratiqué cette injection « sur ordre du médecin qui était son supérieur hiérarchique et membre de la famille de la malade », précise aujourd'hui son avocat, Me Pierre-Olivier Sur. Agée de 37 ans et actuellement en congé de maternité, l'infirmière « regrette le contexte dans lequel son acte est intervenu », a déclaré Me Sur. Un geste d'humanité, pour le Dr Le Corre, qui avoue n'avoir jamais eu le courage, en vingt ans de pratique, « de faire un tel geste. J'ai fui ».
Des conditions très difficiles
Le directeur de l'hôpital, qui a averti les services de la DDASS et le parquet du Périgord, a appris les faits par une aide-soignante et une infirmière de l'équipe de jour. « Elles ont eu peur des sanctions administratives », assure le Dr Le Corre, qui souligne « le manque de communication entre les deux équipes ». « Les conditions d'exercice, faute de moyens et de personnels, sont devenues très difficiles. Nous n'avons plus le temps de parler entre nous », regrette-t-il. Le comité de soutien, dont le but est de soutenir moralement et financièrement l'infirmière (la généraliste ayant préféré, par peur d'une médiatisation excessive, se tenir à l'écart de cette initiative), a reçu près de 12 000 euros de dons qui « arrivent de toutes parts », se félicite le Dr le Corre. « Elles ont certes franchi la ligne jaune, poursuit-il. Mais je pense qu'elles ont été atteintes du burn-out des soignants ». Même s'il n'est pas favorable à une loi sur l'euthanasie, il trouve nécessaire le recadrage de la législation. « Les soignants sont seuls et démunis face à de telles situations. Même la justice ne sait pas quoi répondre, s'exclame-t-il. Elle met en examen des soignants pour empoisonnement mais les laisse exercer. C'est une décision illogique. »
Le Dr Jean-Marie Faroudja, président du Conseil départemental de l'Ordre des médecins, estime également que la justice « avance sur la pointe des pieds. Pourtant, la loi ne peut pas tout prévoir face à cette multiplicité de cas uniques ». Il préfère parler « d'exception d'euthanasie », notion développée par le Comité consultatif national d'éthique, qui permettrait aux soignants et aux familles d'apprécier « tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie, que les conditions de leur réalisation ». Mais il faut, pour cela, avoir le temps de dialoguer.
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