ON ALLAIT VOIR ce qu'on allait voir : après la Slovénie, qui a présidé l'Europe pendant le premier semestre de cette année, la France devait apporter un élan décisif à la marche du continent. La préparation de notre présidence a donné lieu à un planning extrêmement minutieux, Nicolas Sarkozy ne s'embarrassant guère du protocole pour prendre des contacts avant l'heure avec les chefs de gouvernement européens et pour annoncer ses intentions, comme s'il était vraiment le président de l'Union.
La France s'est efforcée de tout prévoir, pour éviter ces ratés auxquels ses dirigeants actuels nous ont habitués. Elle ne savait pas qu'elle hériterait d'une paralysie soudaine du continent. Et ce qui pouvait apparaître comme une occasion de briller par un leadership avantageux risque de se transformer en déroute.
Le refus du découragement.
D'un point de vue strictement légal, en effet, l'Europe est bloquée durablement, puisque ses statuts prévoient que le veto d'un seul des 27 États empêche l'adoption du traité. Or il est indispensable à la gestion des dossiers communautaires. Il était notamment prévu, après l'adoption du traité, de nommer un président européen pour une période de trente mois et donc de donner aux institutions un exécutif qui aurait rendu plus efficace la Commission européenne. Une discussion feutrée avait déjà commencé sur le nom du premier titulaire de la présidence : Tony Blair, Jean-Claude Juncker, du Luxembourg, Valéry Giscard d'Estaing, en dépit de son âge, ont été mentionnés. On s'attendait à une bagarre d'ego et d'ambitions nationales. Une crise a devancé celle à laquelle on se préparait.
LA PRESIDENCE FRANCAISE DE SIX MOIS A PERDU DE SON ECLAT AVANT D'AVOIR COMMENCE
Nicolas Sarkozy, avec l'approbation d'Angela Merkel, a adopté une position ; elle consiste, en gros, à ne pas céder à un découragement qui, pourtant, serait bien compréhensible. Dès lundi, il s'est rendu en République tchèque pour convaincre ses dirigeants qu'ils devaient poursuivre le processus de ratification. À Prague, il n'aura pas rencontré un gouvernement particulièrement proeuropéen : la méfiance et le repli sur soi sont aussi répandus chez les nouveaux adhérents à l'Europe que chez les anciens. D'une façon générale, les Européens ne savent pas ce qu'ils doivent à l'Europe, ils imaginent seulement les dangers qu'elle pourrait leur faire courir. L'exemple des Irlandais est à cet égard édifiant : ils rejettent notre accusation d'ingratitude, car nous, les Français, avons été les premiers à voter « non » ; il demeure que c'est grâce à leur adhésion à la CEE et aux 58 milliards d'euros investis dans l'économie irlandaise, par ailleurs servie par une fiscalité généreuse, qui les a fait passer du statut de pays le plus pauvre de l'Europe occidentale à celui du plus riche, juste après le Luxembourg.
De la même manière, pour les pays qui étaient sous le joug de l'URSS jusqu'en 1989 et à la chute du Mur de Berlin, l'Union européenne et l'OTAN sont apparues comme deux moyens d'ancrer leurs toutes jeunes démocraties dans une aire de sécurité et de prospérité. Libres, ils étaient soudain, et leur premier réflexe a été de rejoindre de grands ensembles respectueux de leur liberté. Avec le temps, on a constaté que ces pays n'avaient pas épuisé les ressources de leur liberté : s'ils étaient libres d'adhérer, ils l'étaient aussi de déterminer leur destin en dehors des contraintes communautaires.
Mais c'est donnant-donnant : on ne peut pas bénéficier des avantages accordés aux pays en développement et refuser ce que l'on perçoit comme des inconvénients. La dérive populiste, c'est l'exact symétrique de la vision européenne : on voit bien, par exemple, que ce qui empêcherait les peuples des Balkans de s'entretuer serait d'appartenir à un ensemble plus vaste qui gommerait leurs différences. Le nationalisme n'a pas cédé à ce jour devant l'internationalisme ; le cas irlandais est exemplaire d'un peuple qui n'a même pas été convaincu par la chance qu'il a eue d'appartenir à l'UE et pour qui, face à tous les phénomènes qui tendent à intégrer le monde commercialement et économiquement, le repli sur soi apparaît comme l'option la plus sûre.
M. Sarkozy n'a pas de pouvoirs particuliers pour changer une mentalité qui existe aussi bien en France (notre « non » de 2005) qu'ailleurs. En revanche, il peut demander d'abandonner l'unanimité pour les choix historiques de l'UE. De même que tous les pays membres n'ont pas adopté l'euro, des statuts particuliers pourraient être accordés (comme on l'a déjà fait pour le Royaume-Uni) aux pays qui ne souhaitent pas s'intégrer davantage. On constituerait alors un noyau européen dur, formé avec les pays qui ont une monnaie commune et auront un président commun. Libre aux autres d'examiner les conséquences de leur choix dans leur vie quotidienne et de se poser de nouveau, un jour, la question d'une intégration européenne qui isolera énormément ceux qui l'auront rejetée.
Cependant, il est peu probable, après le vote irlandais, que la présidence française brille de tous ses feux. Alors qu'il était question de poursuivre sur la voie tracée par le traité simplifié et de démontrer de façon éclatante la cohérence de la diplomatie sarkozyste, il s'agit maintenant de trouver d'improbables remèdes à la crise créée par le « non ». C'est une tâche encore plus difficile et ingrate.
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