« Globalement, c'est la réforme la moins avancée », résume Amandine Brunon, présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), qui vient de prendre connaissance du rapport Debouzie (« le Quotidien » du 26 septembre) sur la réforme de la première année d'étude de médecine qui pourrait être commune à plusieurs professions de santé.
« Ce document, poursuit-elle, apporte en effet des précisions sur les possibilités de la refonte de la première année de médecine (PCEM 1) qui devrait devenir une année d'enseignement commune à de nombreuses professions de santé, quatorze dans un premier temps ».
Déjà, lors des deux rentrées précédentes, certaines facultés ont choisi d'intégrer les sages-femmes et, plus récemment, les kinésithérapeutes, dans leur PCEM 1. Poussant un peu plus l'expérience, la faculté de Grenoble est allée jusqu[212]à ouvrir les amphis de première année aux futurs manipulateurs radio. La philosophie de cette réforme semble donc plutôt bien acceptée dans les universités, mais elle soulève malgré tout des interrogations.
« En plus des augmentations régulières du numerus clausus , l'ouverture de la PCME 1 à de nouvelles filières a déjà des conséquences sur les équipements », explique Christiane Bébéar, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux et vice-présidente de la Conférence nationale des doyens. Dans certaines villes, on a été obligé de faire appel à la télétransmission audiovisuelle et de répartir ainsi les étudiants dans plusieurs amphithéâtres. Et il est clair que cette réforme, si elle est appliquée partout, nécessitera des délocalisations et la création de nouveaux postes d'enseignant, notamment dans les sciences humaines et sociales ».
Autre réforme importante : celle des contenus pédagogiques du second cycle, de la quatrième (D2) à la sixième (D4) année de médecine. Certes, elle n'est pas foncièrement nouvelle, mais la promotion qui, au moment de sa mise en uvre, en 2001, rentrait en D2, passera l'examen classant et validant de l'internat pour tous en juin 2004. Plutôt bien acceptée, cette réforme « favorise un apprentissage transversal, et non matière par matière, apprécie Amandine Brunon. Elle nous apporte une perception globale du patient. » Et le doyen de la faculté de Bordeaux de résumer d'une phrase : « Pédagogiquement, c'est tout à fait intéressant. »
Malgré tout, quelques remarques viennent ternir le tableau. La présidente de l'ANEMF évoque, par exemple, un rythme de travail trop soutenu. L'année dernière, sa promotion de D2 subissait une série d'examens toutes les trois semaines. Cette cadence infernale poussa à l'échec dix-huit élèves sur les soixante-cinq inscrits : un taux de redoublement anormalement élevé, alors que ces étudiants avaient franchi l'obstacle du PCEM 1.
Par ailleurs, il semblerait que les facultés ne se soient pas investies de la même manière dans ce processus visant à réformer les enseignements du second cycle. « Des universitaires traînent des pieds, regrette Amandine Brunon, car cela nécessite de nombreux aménagements et remet en cause certaines pratiques » ; Christiane Bébéar ne désavoue pas ce constat : « Le caractère transversal de ce nouvel enseignement est, comme souvent, toujours difficile à faire accepter, reconnaît-elle. Ça nécessite des changements de mentalité, mais toutes les facs s'y sont attelées. » Le doyen de Bordeaux soulève par ailleurs une difficulté d'ordre pratique : la modification des enseignements et des intitulés des modules complique les procédures d'échange entre la France et les pays étrangers, particulièrement européens. Lorsque dans les autres pays de la communauté, les étudiants suivent un cours de pédiatrie, en France, cette matière est présente dans deux modules : « de la conception à la naissance » ou « maturation et vulnérabilité ». De manière générale, tous les effets indésirables de la réforme, difficilement prévisibles lors de son élaboration, devraient faire l'objet d'un inventaire minutieux dans le courant de l'année. L'ANEMF, en particulier, a en effet prévu de lancer une campagne d'évaluation sur l'ensemble du territoire.
Après le second cycle : l'internat. Là encore, une réforme importante, sans doute la plus spectaculaire, est en cours. Il s'agit de mettre en place le fameux examen national classant, qui doit remplacer rapidement l'internat qualifiant pour les seuls spécialistes, et qui va donc instaurer un égal accès au troisième cycle, à tous les étudiants, qu'ils se destinent à la médecine générale ou à la médecine socialisée.
Ainsi, des épreuves nationales se dérouleront, les 14 et 15 juin, (« le Quotidien » du 24 septembre) dans sept centres d'examen : Bordeaux, Lille, Nantes, Marseille, Lyon, Paris (ou proche banlieue) et Strasbourg. Evidemment, le contenu de l'examen sera modifié pour s'adapter aux enseignements transversaux nés de la réforme du 2e cycle. Mais la grande nouveauté, c'est avant tout l'intégration des futurs généralistes dans le système de l'internat, dès la rentrée 2004.
Les attentes des étudiants
Du côté des étudiants, les attentes se concentrent sur les modalités de ce nouveau dispositif. « Un accord tacite avec le dernier gouvernement permettait aux futurs généralistes de ne passer cette nouvelle épreuve qu'en 2005, contrairement aux spécialistes, raconte Amandine Brunon. L'internat se prépare en deux ans et l'on pensait, en effet, qu'il était nécessaire que les généralistes, prévenus un peu tard, puissent bénéficier d'un délai. » Lors de la dernière rentrée cependant, le gouvernement a remis en cause cet accord, imposant à tous les étudiants un passage de l'internat en juin 2004. De négociations en négociations, un consensus fut néanmoins trouvé : les généralistes pourront, dans un premier temps, faire l'internat dans leur ville d'étude. En revanche, le syndicat étudiant négocie toujours avec les deux ministères de tutelle la procédure de choix des postes par les étudiants. La dernière réunion en date, le 24 septembre dernier, a donné à l'ANEMF l'espoir que le dossier réglé serait, d'ici au début décembre, dans le sens de ses attentes. « Nous demandons depuis longtemps une "procédure de choix éclairé" qui permettrait aux étudiants de poser leur candidature en fonction des places laissées libres par ceux qui les précèdent dans le classement, précise Amandine Brunon. Et nous les avons prévenus que si nous n'obtenions pas ce que nous voulons, ça risquerait de coincer de notre côté ». Le décret sur cet examen national classant, examiné en ce moment par le Conseil d'Etat, devrait être publié vers le 15 octobre au « Journal officiel » .
Enfin, dernier dossier : le Licence Master Doctorat (LMD). Cette révision du cursus universitaire résulte de la volonté d'homogénéiser les diplômes au niveau européen, dans l'ensemble des filières d'étude universitaires. D'ores et déjà, en fonction des universités, les étudiants en médecine pourront obtenir par équivalence le Master recherche (bac + 5) qui ouvre la voie de la recherche aux étudiants qui ne souhaitent pas poursuivre un cursus médical. « D'une manière générale, explique Jean-Luc Debru, doyen de la faculté Joseph Fourier de Grenoble, la réflexion sur la mise en place de cette réforme est relativement avancée. La première mise en application pourrait commencer cette année. Mais concernant la médecine, c'est plus difficile. Tout simplement parce que le cursus de médecine, comme celui de pharmacie d'ailleurs, est régi par des textes réglementaires très précis. La réflexion dans ce domaine n'a qu'un an et se poursuit ». Mais, au-delà de la reconnaissance des diplômes d'un pays à l'autre, la grande ambition de la mise en place du LMD dans le cursus médical est d'offrir aux étudiants de médecine des passerelles avec d'autres professions de santé et avec d'autres cursus, comme droit et santé, journalisme et santé.
La mise en uvre de cette réforme se fera en plusieurs vagues, sous le contrôle des ministères concernés qui privilégient la multiplication des expériences. C'est pourquoi il faudra attendre quatre, cinq, six ans ou plus, avant que le LMD ne soit généralisé.
Comme la précédente, l'année 2003/2004 s'annonce donc encore très chargée pour les universités de médecine et syndicats d'étudiants, comme pour les ministères de tutelle. Mais peu à peu, toutes ces réformes devraient aboutir, donnant enfin de la consistance à un projet global de refonte des études de médecine.
Quel numerus clausus en 2004 ?
Combien d'étudiants seront admis à poursuivre leurs études de médecine en deuxième année, à l'issue de l'année universitaire qui s'ouvre ?
En 2003, 5 100 ont été reçus au concours de fin de PCEM1, soit une progression de plus de 8 % par rapport à l'année précédente. Cette progression pourrait être plus forte.
En effet, lors de l'émission les « Quatre Vérités », sur France 2, qui s'est déroulée à la fin de l'année dernière, Jean-François Mattei avait dit qu'il avait l'intention de porter à 6 500 le nombre d'étudiants admis au concours d'ici deux ou trois ans. Le rapport Berland sur la démographie médicale, qui avait été commandé par le ministre de la Santé, s'est prononcé aussi pour un relèvement substantiel du numerus clausus. Seules les caisses d'assurance-maladie sont plus réservées, tant elles craignent que l'augmentation du nombre de médecins libéraux n'accroisse encore les dépenses de santé. L'argument a été rejeté par le ministre de la Santé, qui explique que la pénurie actuelle de médecins dans certaines régions, n'a pas eu pour conséquence de faire baisser ces dépenses.
Les doyens de médecine souhaitaient, quant à eux, que 6 000 étudiants soient admis en PCEM 2 en 2004. On ne devrait pas être très loin de ce chiffre.
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