FILS D’UN CANCÉROLOGUE réputé, le Dr Thierry Methlin, ORL près de Strasbourg, se souvient que son père déléguait toute la santé de ses quatre fils – aujourd’hui tous médecins – à ses confrères, et ne les soignait qu’en cas d’urgence. «Un de mes frères m’a cassé un doigt avec une carabine à air comprimé. Mon père m’a mis une simple attelle et personne n’a vu que c’était une fracture. Aujourd’hui encore, ce doigt n’est pas droit et ne le sera jamais», raconte-t-il en avouant, lui aussi, quelques erreurs avec ses propres enfants. «Un jour, mon plus jeune fils s’est déshydraté au point qu’il a fallu l’hospitaliser et, plus récemment, j’ai cru pendant trois ans qu’il avait une tendinite du coude avant de le faire radiographier et de découvrir tout à fait autre chose: avec un patient normal, j’aurais demandé des examens bien avant.»
Le Dr Methlin soigne toute sa famille mais reconnaît que, si le proche n’est pas un patient « normal », cela modifie totalement la relation et le regard médical. «D’abord, on croit toujours qu’on pourra rattraper les choses si ça s’aggrave, car on garde ses enfants à portée de main, contrairement aux patients; ensuite, on voit tellement de patients au cabinet qui n’ont rien, mais qu’on doit soigner quand même, qu’on se dit que le proche n’a rien non plus... mais que, lui, on n’est pas obligé de lui donner un traitement pour qu’il soit content», poursuit-il.
Anatomo-pathologiste et fils de médecin, le Pr Jean-Marie Vetter se rappelle une fracture du pied soignée par son père dont le plâtre était trop court et s’est cassé. Il confie avoir administré à sa jeune épouse, lorsqu’il était interne, des médicaments totalement périmés : il les avait récupérés dans une armoire à l’hôpital, en pensant que cela irait plus vite que d’aller en chercher à la pharmacie. «Jamais, reconnaît-il, ni mon père ni moi, n’aurions traité des malades ordinaires comme ça, et, d’ailleurs, je ne soigne plus ma famille depuis des années.» En revanche, dit-il, «si un de mes proches devait subir des examens histologiques, je ne laisserais à personne le soin d’analyser les prélèvements».
Impensable d’être malade.
Nicolas Wagner, journaliste et fils de psychiatre, se souvient qu’il était tout simplement «impensable» d’être malade, cet état étant réservé aux patients mais pratiquement interdit à la famille proche. Résultat, il a fallu l’opérer en urgence de l’appendicite, après que son père eut estimé, pendant des mois, que ses troubles digestifs incessants étaient liés à sa crise d’adolescence. Beaucoup de médecins estiment eux aussi «que leur famille n’est jamais malade» ou minimisent les maladies de leurs proches, confirme Anne-France Uhrweiller, aujourd’hui conseil en communication, soignée depuis son enfance par son père généraliste. «Même s’il n’a pas décelé l’ulcère que j’ai eu à 20ans, explique-t-elle, c’est un excellent médecin et, récemment, il a traité mon hypothyroïdie alors qu’aucun des spécialistes que j’avais consultés ne l’avait découverte.» Il soigne d’ailleurs ses petits-enfants, même s’il «oublie souvent les rappels de vaccination: contrairement à ses clients, nous devons toujours nous rappeler à lui, dès que nous avons quelque chose, et insister, car il n’anticipe pas».
Si beaucoup de médecins se montrent désinvoltes face à leur famille et sont persuadés – parfois peut être inconsciemment pour se rassurer – qu’il ne peut rien lui arriver, d’autres peuvent avoir tendance à surprotéger leurs proches et à redouter une affection grave au moindre éternuement ; le phénomène est cependant moins fréquent que l’absence de craintes. Mais, soignés ou non par leur père ou leur mère, les enfants de médecin en retirent d’autres avantages, dont le premier est de mieux connaître ce milieu et de le démystifier. «Mon père me disait toujours de ne pas faire médecine car, d’ici à ce que je m’installe, les conditions de vie des médecins auraient radicalement changé... Et il n’avait pas tort», se souvient Nicolas Wagner. Il n’en reste pas moins que de très nombreux fils de médecins de sa génération sont devenus médecins à leur tour.
Enfin, Anne-France Uhrweiller cite un autre point concret, mais non négligeable : «Contrairement au médecin lambda, mon père ne me fait pas attendre des jours ou des semaines quand je veux le voir, et je n’ai pas besoin de passer par le filtre d’une secrétaire.»
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