Tibia, métatarse, péroné, scaphoïde, fémur, pelvis

Étiologie et prévention de la fracture de fatigue chez le sportif

Publié le 09/10/2008
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Les femmes

La majorité des études rapportent une plus forte incidence de FF dans la population féminine. Plusieurs hypothèses sont avancées, notamment la longueur des foulées, la plus petite géométrie osseuse des femmes, les facteurs nutritionnels et endocriniens.

Physiopathologie

Le concept de la fracture de fatigue (FF) est celui d'un continuum qui débute par un remodelage osseux accéléré et s'étend jusqu'à la fracture complète. Au cours du processus normal du remodelage osseux, des fissures microscopiques se forment et se propagent si elles ne sont pas comblées à temps par l'activité ostéoblastique. Ce délai entre activité ostéoclastique (résorption osseuse) et ostéoblastique (formation osseuse) apparaît lorsque les sollicitations mécaniques imposées à l'os dépassent momentanément ses capacités d'adaptation, cédant ainsi la place à une microfracture. Bien que l'activité physique exerce des effets favorables sur le squelette en augmentant son contenu minéral osseux, une activité physique continue et/ou trop intense peut dépasser les capacités d'adaptation de l'os et l'affaiblir.

La FF peut être occasionnée par deux mécanismes différents : 1) la redistribution des forces d'impact qui induit une accumulation de contraintes mécaniques à certains points focaux de l'os 2) la traction musculaire sur l'os. Ce second aspect est souvent ignoré, mais se manifeste par exemple lors de la FF des côtes chez les pratiquants de l'aviron, du kayak et les lanceurs de javelot.

La FF est en soi une réponse physiologique normale à une sollicitation anormale, sa particularité résidant dans le fait qu'elle se produit par la sommation de contraintes d'intensité inférieure au seuil fracturaire. Il ne s'agit pas d'un phénomène soudain, mais d'un processus qui s'inscrit dans le temps et dont l'évolution peut être endiguée si il est identifié à temps.

Diagnostic

Le patient atteint par une FF se plaint généralement d'une douleur au site de la fracture. Chez les coureurs à pied, les stades précoces de la FF au tibia ou au péroné s'apparentent aux symptômes d'une périostite, cette erreur diagnostique pouvant favoriser l'évolution de la fracture de fatigue et en retarder considérablement la guérison.

La réaction osseuse peut être détectée à différents stades de son évolution. La scintigraphie osseuse ainsi que l'imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent de repérer l'atteinte osseuse dès son stade le plus précoce, en phase de remodelage osseux accéléré dite « réaction périostéale ». Le scanner a également son utilité pour imager de petites fissures, mais son diagnostic n'est positif que dans les stades plus tardifs de l'évolution de la FF. Enfin, le cliché radiographique conventionnel est la méthode d'imagerie la moins sensible pour déceler une FF et se révèle dans la plupart des cas négatif alors que scintigraphie osseuse, scanner ou IRM sont positifs.

Dans la majorité des cas, la scintigraphie osseuse est suffisante pour confirmer le diagnostic d'une FF (cf. figures). Cependant, certains sites connus pour présenter des difficultés de traitement, tel l'os naviculaire ou le col du fémur, requièrent des informations supplémentaires sur la localisation et l'étendue exacte de la FF par l'IMR ou le scanner. Bien que l'IRM ne permette pas d'imager la fracture de manière aussi nette que le scanner, sa sensibilité est néanmoins proche de celle de la scintigraphie ; raison pour laquelle l'IRM tend à remplacer la combinaison scintigraphie + scanner en cas de suspicion de FF. À noter que, en pratique, le recours à l'IRM est tempéré par le coût et la disponibilité des appareils.

Traitement

Le traitement de la FF consiste à éviter l'activité en cause. Bien que la majorité des FF guérissent spontanément en six semaines de repos, ce délai peut varier selon le site osseux concerné. Certains sites sont plus délicats à consolider, il s'agit notamment de l'os naviculaire, de l'os cuboïde, des os cunéiformes, de la base du 5e métatarsien, du col fémoral, du cortex tibial antérieur.

En cas de délai d'union osseuse ou bien de non-union, des traitements plus agressifs comme la pose d'une attelle, d'un plâtre ou même une intervention chirurgicale peuvent être nécessaires. La guérison est évaluée cliniquement par l'absence de trait de fracture avec présence d'un cal osseux sur cliché radiologique, et fonctionnellement par la capacité de reprise de l'activité en question sans douleur. Dans la plupart des cas, il n'est pas nécessaire de suivre la consolidation de la FF par imagerie, cette tentative pouvant même se révéler décevante car, dans certains cas, le trait de fracture peut rester visible, même bien après que la guérison clinique a eu lieu.

Les facteurs de risque

Les propriétés structurelles et matérielles de l'os, les forces atténuées par le muscle ainsi que la quantité de contrainte mécanique appliquée sur l'os se combinent pour initialiser la FF. Mais, d'un point de vue global, la résilience de l'os à supporter ces contraintes dépend de la santé osseuse du sujet, un facteur déterminé par la nutrition, la génétique, le statut hormonal, un passé d'activité physique, ainsi que la présence de pathologies.

Les modalités de l'activité physique

Dans le cas de la course à pied, l'alignement biomécanique des segments inférieurs, l'atténuation de l'impact au sol par les forces musculaires, ainsi que la technique de course, la fatigue, le type de sol ainsi que le port ou non de semelles orthopédiques sont autant de facteurs qui s'additionnent pour expliquer l'incidence élevée de FF. Il va sans dire que plus la répétition de contraintes est élevée, plus le risque de fracture augmente.

Le manque de préparation physique peut également favoriser la survenue d'une FF chez le sujet non entraîné qui se lance dans une entreprise sportive inhabituelle excédant ses capacités physiques.

La densité minérale osseuse

Une faible densité osseuse, en raison d'une diminution de la résistance osseuse, représente un terrain favorable à l'accumulation et à la propagation de microfissures. La relation entre densité minérale osseuse et FF n'est cependant pas clairement identifiée et la majorité des sportifs présentent habituellement des valeurs de densité minérale osseuse supérieures à la norme. (T-score à + 2 écarts types). En outre, d'autres facteurs, telles la géométrie et la microarchitecture osseuse déterminent également la résistance mécanique de l'os et contribuent, indépendamment de la masse osseuse, au risque de fracture.

L'association entre diminution de la masse osseuse et FF vient d'un constat généralement fait auprès d'athlètes aménorrhéiques qui pratiquent la course d'endurance. Il faut cependant garder à l'esprit que les athlètes présentant des troubles du cycle menstruel ont également, d'une façon générale, des charges d'entraînement plus élevées, un poids et une masse musculaire plus faibles et des apports nutritionnels insuffisants, comparés à leurs pairs euménorrhéiques bénéficiant d'une densité osseuse normale.

L'implication clinique importante de ce constat est que l'ostéodensitométrie ne semble pas avoir sa place en tant qu'outil prédictif du risque de FF chez des individus sains par ailleurs. Il en va de même pour le dosage des marqueurs biochimiques du remodelage osseux, dont de nombreuses études prospectives ont révélé l'inaptitude à identifier les individus à risque.

Facteurs nutritionnels et endocriniens

La restriction des apports énergétiques pratiquée par certaines sportives dans un souci compétitif ou esthétique peut entraîner des perturbations de l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique avec survenue d'oligo- ou d'aménorrhée. L'hypoestrogénie entraîne une augmentation de la résorption osseuse avec diminution de la formation osseuse, ralentissant ainsi la réparation des microfractures. On comprend dès lors que la perturbation des cycles menstruels soit systématiquement retrouvée comme facteur favorisant la survenue de FF.

Bien que les troubles du comportement alimentaire soient associés à un risque accru de FF chez les femmes sportives, il n'y a à ce jour pas d'évidence que les carences nutritionnelles, en particulier calciques, représentent un facteur de risque de FF dans une population d'athlètes saines par ailleurs.

Stratégies de prévention

La majorité des mesures préventives concernent les modalités de l'entraînement sportif. L'entraînement de type cyclique est à préférer à l'entraînement à charge progressive. Également appelé « périodisation » de l'entraînement, cette planification alterne phases de travail et de récupération. Les phases de repos permettent aux tissus osseux et musculaires de se consolider suite à la répétition de contraintes et de microtraumatismes subis au cours du cycle de travail. Les charges d'entraînement continues tout comme l'enchaînement des compétitions sont à éviter au profit d'un entraînement planifié de manière cyclique.

Le port de semelles orthopédiques amortissantes, correctrices si besoin, le changement des chaussures de course dès les premiers signes d'usure, la limitation du nombre de kilomètres parcouru sur sols durs (route goudronnée, piste) au profit de sol plus souples (sous-bois, gazons, chemins de terre) sont autant de mesures qui peuvent contribuer à limiter l'accumulation de microfissures osseuses.

Le sportif peut faire l'économie des contraintes osseuses imposées aux segments inférieurs en remplaçant une ou deux séances hebdomadaires de course sur piste par la même séance réalisée en piscine. Des ceintures d'aquajogging permettent d'atteindre une sollicitation cardio-vasculaire et musculaire comparable au travail de type fractionné sur le sol sans en subir les contraintes au niveau osseux et articulaire. Très prisée par les équipes universitaires américaines de cross-country, de cette méthode à de nombreux avantages.

Conclusion

La prévention de la FF passe avant tout par la périodisation de l'entraînement, les phases de repos étant essentielles aux processus de régénération des tissus osseux et musculaires. La quantité de contraintes mécaniques subies par l'os peut être diminuée sans réduire pour autant l'entraînement cardio-vasculaire.

L'aquajogging, la qualité du chaussage, le choix du terrain et la vigilance quant à la couverture des besoins énergétiques, sont autant de stratégies préventives contribuant à la réduction du risque de FF.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que la pratique d'une activité physique régulière est essentielle à l'accroissement et au maintien de la masse et de la résistance osseuse, et participe à la réduction du risque fracturaire.

> Dr STÉPHANIE PROUTEAU CMME, Centre hospitalier Sainte-Anne, 75014 Paris.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8437