De notre correspondant
W ILLIAM BERGMAN est mort il y a trois ans, à l'âge de 85 ans, d'un cancer du poumon qui avait métastasé aux os. Ses enfants ont porté plainte contre son médecin traitant, le Dr Wing Chin, parce que, selon eux, il n'a pas soulagé M. Bergman de ses douleurs. Il s'agit de l'un des tout premiers procès pour carence de soins palliatifs qui soient intentés aux Etats-Unis.
Il traduit l'impatience croissante des patients et de leurs proches vis-à-vis de ce qu'ils considèrent comme l'apathie du corps médical dans le domaine des traitements antidouleur. De nombreuses études récentes ont montré que les médecins négligent la douleur, notamment celles des malades du cancer, alors que des protocoles très précis et très complets ont été établis qui permettent de soulager les patients dans des conditions satisfaisantes.
Un risque de sanction
Mais diverses enquêtes ont montré aussi que l'absence de traitement antidouleur ne reflète ni l'insensibilité ni la cruauté des praticiens. S'ils hésitent à recourir aux analgésiques et surtout aux drogues ou aux narcotiques, c'est parce qu'ils craignent d'être sanctionnés par les autorités médicales disciplinaires ou même d'encourir les foudres des agences gouvernementales, comme l'organisme fédéral de la lutte contre la toxicomanie, la Drug Enforcement Agency (DEA).
« Les patients qui souffrent sont devenus les victimes non belligérantes de la guerre contre la drogue, explique le Dr Ben Rich, un bioéthicien de Californie. Bien rares sont les médecins qui ne reconnaissent pas qu'ils limitent les traitements antidouleur pour éviter toute enquête administrative et, a fortiori, toute sanction de leurs pairs ou de la justice. »
Un organisme d'accréditation en santé publique, qui travaille indépendamment du gouvernement, vient d'inviter les hôpitaux à procéder à une évaluation de la douleur des patients et de sa gestion par les médecins ; cette évaluation devient une condition sine qua non de l'accréditation des établissements hospitaliers.
Dans le procès de Hayward, la fille du patient, Bervely Bergman, affirme qu'elle a passé deux nuits à assister aux souffrances de son père, avant que le Dr Chin lui signe une autorisation de sortie. Le médecin avait refusé de prescrire de la morphine pour le malade. La morphine est le traitement de première intention dans le cas d'un cancer à métastases. M. Bergman a été transporté dans un autre hôpital où les médecins lui ont administré de la morphine qui l'a aussitôt soulagé. Il est décédé un jour plus tard.
La famille du Dr Bergman a constitué sa plainte avec l'aide de Compassion in Dying Federation (CDF), une association de lutte contre la douleur en phase terminale. Beverly Bergman s'était d'abord adressée au Medical Board of California (qui correspond à l'Ordre des médecins de cet Etat) lequel a refusé de soutenir sa plainte. Directrice des Affaires légales de CDF, Kathryn Tucker déclare qu'il s'agit de « désigner un responsable dans le cas d'une asence criante de médication contre la douleur ».
Mme Bergman déclare qu'elle a été stupéfaite par la réaction négative du Medical Board. Car, affirme-t-elle, les lois et les protocoles de lutte contre la douleur sont en Californie les plus avancés du monde et particulièrement contraignants pour les médecins. Pourtant, elle a relevé que, à ce jour, un seul Medical Board, celui de l'Oregon, a accepté de poursuivre un médecin pour non-traitement de la douleur.
La défense du Dr Chin
Le Dr Chin a refusé de faire une déclaration au sujet du procès, mais les documents qui ont été déposés au tribunal par ses avocats indiquent qu'il craignait des effets indésirables du traitement par la morphine. Un expert médical saisi par la défense entérine le comportement du Dr Chin.
La famille de M. Bergman a également attaqué l'hôpital, en l'occurrence l'Eden Medical Center à Castro Valley, qui a recherché et obtenu un accord amiable. Dans le cadre de cet accord, l'établissement s'est engagé à lancer des cours de lutte contre la douleur pour les médecins qui travaillent dans l'établissement.
Deux précédents
Il y a deux précédents à cette affaire : en 1990, un jury de Caroline du Nord a accordé 15 millions de dollars (100 millions de francs) à la famille d'un patient qui n'avait pas obtenu de traitement contre la douleur. En 1997, un tribunal de Caroline du Sud a contraint un hôpital à verser 200 000 dollars à la famille d'un cancéreux non traité pour la douleur. La
loi de Californie interdit tout versement d'argent pour manque de soins à un patient en état de souffrance dès lors que le patient est décédé. C'est pourquoi la plainte est axée sur la notion « de violences exercées contre une personne âgée ». En droit, le Dr Chin ne peut être condamné que s'il est convaincu « négligence imprudente ». La procédure est donc compliquée et les plaignants peuvent être déboutés.
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