« Silence… Hôpital », du moins pour l’AP-HP en matière d’EPRD. Initialement prévu en juillet, l’EPRD 2010 du premier hôpital d’Europe sera, peut-être, présenté en septembre. Pour l’heure, côté direction de l’AP-HP, difficile d’avoir des informations. Il est vrai que la situation de ce mastodonte de la santé, composé de 37 hôpitaux pour 20 000 médecins et 52 000 soignants, est à bien des égards « explosive ».
Concernant l’AP-HP, dont le budget s’élève à 6,4 milliards d’euros, son déficit en 2009 est de 93,5 millions d’euros, près de cinq fois plus qu’en 2008, et sa dette avoisine 1,8 milliard… L’AP-HP prévoit de réduire ses dépenses de plus de 276 millions d’euros au cours de son plan stratégique 2010-2014 afin de redresser sa situation financière, selon un document interne. Cet « effort d’efficience » serait particulièrement important entre 2010 et 2012, avec environ 56 millions d’euros d’économie pour 2010, 73 millions en 2011 et 2012, puis 37 millions en 2013 et 2014. Le plan de réorganisation de l’AP-HP pour les cinq prochaines années, dont la préparation suscite de vifs remous, devrait donc être adopté en septembre. La direction de l’AP-HP, qui souhaite revenir à l’équilibre financier dès 2012 tout en rationalisant et améliorant l’offre de soins, prévoit notamment de réunir en 12 groupes hospitaliers les 37 hôpitaux de l’AP-HP. De là en découle tout un jeu de « chaises musicales » entre les services spécialisés des différents hôpitaux, dont certains seront fermés. Exemple, le groupe Avicenne-Jean Verdier offrira, en sus des soins de base, des activités de cancérologie, psychiatrie, chirurgie, mais sa spécialité régionale sera l’addictologie et l’obésité.
Fermeture de l’Hôtel-Dieu
Ainsi, le projet de plan stratégique 2010-2014 (rapport de 240 pages), sur lequel les membres du conseil de surveillance de l’AP-HP se penchent actuellement, évoque la « reconstruction conjointe sur un site à définir » des hôpitaux Bichat et Beaujon, et le « nécessaire transfert des activités d’hospitalisation complète de l’Hôtel Dieu dans un délai rapide » vers l’hôpital Cochin. Mais bien d’autres opérations structurantes sont à l’ordre du jour : restructuration de l’hôpital Henri-Mondor et du centre de cancérologie de la Pitié-Salpêtrière, reconstruction partielle de Lariboisière, création de trois ou quatre campus… Certaines sont même déjà effectives comme la pédiatrie de Saint-Vincent-de-Paul qui vient de rejoindre l’hôpital Necker. Cette opération s’inscrit dans la perspective de la création du pôle mère-enfant (bâtiment Laennec) qui ouvrira en 2012 sur le site de Necker. Mais quid, par exemple, pour l’activité de pédiatrie de l’hôpital Trousseau ? Côté salariés, la plus grande inquiétude règne. Ainsi, le professeur Bernard Granger, du Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), souligne encore et encore que le chiffre de 4 000 suppressions de postes d’ici à 2012 a de nouveau été évoqué lors de la réunion du conseil de surveillance du 13 juillet. Un chiffre qui atteindrait même les 5 000 suppressions de postes d’ici à 2014 selon les syndicats CGT, Sud, FO, CFDT et le SNCH. « On devrait faire plus d’actes avec moins de personnels et moins de services, une totale utopie", assène Christine Fararik, secrétaire du syndicat Sud à l’AP-HP. Pour compléter ses investissements (2,2 milliards d’ici à 2014), sans s’endetter au-delà du ratio de 30 %, l’AP-HP prévoit de revendre une partie de son patrimoine pour 400 millions. Elle n’a pas encore trouvé acquéreur pour son siège avenue Victoria (150 millions d’euros), et tente, avec difficulté, de vendre à la Mairie de Paris les sites de Saint-Vincent-de-Paul et de Broussais.
Les Hospices civils de Lyon
Autre mastodonte également dans le collimateur depuis plusieurs années : les Hospices civils de Lyon (HCL). Répartis sur une quinzaine de sites, ils comptent 5 350 lits et 23 000 salariés ETP. Toutefois, et conformément à son projet d’établissement 2009-2013, les HCL poursuivent leur redressement. « Avec un chiffre d’affaires de 1,560 milliard d’euros (+ 0,6 %), l’EPRD 2010, présenté début juillet, prévoit un déficit consolidé de 42 millions d’euros, contre 58,5 en 2009 et 86 en 2008 », détaille Julien Sanson, directeur général adjoint des HCL. Reste qu’en 2010, la marge de manoeuvre est étroite : « D’une part, le contexte est marqué par des contraintes substantielles sur les recettes à cause du gel en 2010 des tarifs T2A, explique Julien Sanson, d’autre part nos dotations Migac (Missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation) et Merri (Mission d’enseignement de recherche, de recours et d’innovation) sont en baisse de 12,8 millions d’euros sur un total de 350 millions d’euros pour l’ensemble de ces dotations en 2009. » La maîtrise de la masse salariale (hors épargne temps) est donc plus que jamais à l’ordre du jour.
2008-2010 : 700 postes supprimés
Pour ce qui est de la suppression d’effectif, l’addition est également lourde : en 2008, les HCL ont supprimé 200 postes, 300 autres en 2009, et 200 postes cette année. Soit, entre 2008 et 2010, 700 postes supprimés. « À la quasi exception des postes d’infirmières, l’ensemble des métiers sont touchés suite à notre projet de réorganisation", précise le directeur général adjoint. Mais la restructuration passe aussi par un regroupement des établissements. "Par exemple, en septembre, nous ouvrons une cuisine centrale… Nous fermons également certains de nos sites pour les regrouper sur des sites plus modernes. Ainsi, en septembre, l’Hôtel-Dieu de Lyon ainsi que le centre orthopédique Livet seront définitivement fermés. Parallèlement, à la même date, l’hôpital de la Croix-Rousse va ouvrir un nouveau bâtiment médico-chirurgical d’un investissement de 30 millions d’euros. À noter aussi que les HCL se sont séparés de deux sites gériatriques cédés à d’autres hôpitaux : la Fondation Bertholon-Mourier à Givors et l’hôpital Val-d’Azergues. »
D’autres mesures d’économies sont également recherchées : meilleure politique des achats, optimisation des charges financières, sociales ou fiscales, redynamisation des recettes (biologie…), maîtrise de consommation en médicaments, imagerie…
L’AP-HM se « bouge »
De son côté, l’AP-HM, qui totalise 3 200 lits pour 14 000 salariés (ETP), est également toujours dans le rouge. « En 2009, notre budget a été de 1,150 milliard pour un déficit de 35 millions d’euros, explique Yann Le Bras, chef de cabinet à la direction générale de l’AP-HM. Quant à l’EPRD 2010, arrêté fin juin, il fait état d’un déficit prévisionnel en baisse à 27,5 millions, soit 2,7 % du budget. » Il faut dire que cette importante structure, suite au projet médical de l’AP-HM voté en janvier 2009 par le conseil d’administration, fait actuellement l’objet de l’une des plus importantes réorganisations jamais réalisées par un CHU français. L’un de ses principaux objectifs est précisément le retour à l’équilibre financier en 2013 en alliant « optimisation des organisations médicales et performances médico-économiques ». Commencée en avril 2010, la première tranche de cette restructuration (jusqu’en décembre 2010) concerne les quatre sites de l’AP-HM, 15 disciplines universitaires, 26 secteurs d’activité et 760 personnels non médicaux et 110 médecins. Cette réorganisation va se poursuivre jusqu’à l’ouverture du bâtiment médico-technique de l’hôpital de la Timone en 2013, dont l’investissement est de 230 millions d’euros. Ainsi, l’AP-HM se structure désormais autour de deux pôles à vocation régionale – l’Hôpital Nord et la Timone – et de deux sites hautement spécialisés : l’hôpital de la Conception et les hôpitaux Sud. À noter que le redéploiement de personnel s’est effectué dans le cadre de la cellule locale d’accompagnement social à la modernisation (Clasmo) mise en place en 2009 avec le soutien de l’État et l’aide de l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap). Le financement du projet social, qui comporte un dispositif de départs volontaires, est assuré par un accompagnement financier de l’État qui s’élève à plus de 20 millions d’euros sur cinq ans (2009-2013).
La maîtrise des effectifs reste aussi à l’ordre du jour. Si le personnel soignant est en légère progression suite à la création de nouvelles activités dans le cadre de la réorganisation de l’AP-HM, en revanche les départs à la retraite du personnel logistique, technique et administratif ne sont plus systématiquement remplacés. « Mais bien d’autres mesures d’économie sont recensées à travers pas moins de 25 chantiers, précise Yann Le Bras : révision du contrat de maintenance informatique, politique de valorisation du patrimoine avec notamment la cession pour 15 millions d’euros de recettes attendues en 2010, ce qui va augmenter notre capacité d’autofinancement qui, en 2010, est revenu positive… »
Le CHU de Caen dans le « rouge vif »
Autre établissement hospitalier en grande difficulté : le CHU de Caen qui comprend 4 sites pour 1 550 lits et 5 200 agents hors les médecins. Avec un déficit de 42,1 millions d’euros en 2009 (ramené à 37,2 millions d’euros après crédits exceptionnels de l’ARH), soit près de 10 % de son budget, le CHU de Caen constitue le troisième plus gros déficit de l’ensemble des CHU en 2009 (avec l’AP-HP et l’AP-HM). « Face à cette situation particulièrement grave, soulignée par la chambre régionale des comptes (rapport du 26 mai 2010), indique la direction du CHU de Caen (communiqué du 28 juin 2010), nous devons assainir sa situation financière, pour retrouver des possibilités d’investissement dès la fin 2011, et nous mobiliser pour développer nos activités. » Ainsi, l’EPRD 2010, présenté fin juin, fait état d’un déficit de 29 millions d’euros en 2010, avec une réduction de l’insuffisance d’autofinancement de 18 millions d’euros en 2009 à 7 millions d’euros en 2010. Résultat : 200 postes (ETP) vont être supprimés en 2010 au CHU de Caen, a annoncé la direction. Ces réductions concernent prioritairement les services supports, administratifs, techniques et logistiques (soit 6,2 % de ces effectifs), mais aussi, de manière moindre, les personnels soignants (2,7 % des effectifs). Au grand dam des syndicats : « dramatique » selon Philippe Saint-Clair, représentant CGT, « gravissime » pour Pascal Dubosq, délégué Unsa, ont-ils indiqué au quotidien Ouest-France (28 juin 2010). D’autant que, « au total, ce sont 400 postes qui vont être supprimés : 200 en 2010, 100 en 2011 et 100 en 2012. C’est du jamais-vu », a déclaré à l’AFP (28 juin 2010) Jacky Rouelle, délégué syndical FO. Mais une porte-parole de la direction interrogée par l’AFP affirme ne pas avoir « de chiffre aussi précis » pour les années suivantes. Aucun licenciement n’aura lieu. Des départs à la retraite ne seront pas remplacés. En tout cas, toujours pour la direction, cette redéfinition des effectifs passe notamment par un « travail sur le nombre de postes dans les services sur la base de l’activité réelle (charge de travail, lits occupés…), et l’adaptation des structures à l’activité du CHU par le regroupement et la réorganisation des activités en hospitalisation complète et en hospitalisation programmée à durée déterminée (HPDD) ». Les dépenses pharmaceutiques seront également en baisse de 1,9 million d’euros, grâce à une meilleure gestion des prescriptions, des achats et des stocks. Enfin, la majeure partie des investissements seront gelés.
Certains hôpitaux en « bonne santé »
Heureusement, il existe encore des hôpitaux où la situation est nettement moins tendue. Ainsi en est-il du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône (69). Cet hôpital de taille moyenne – 550 lits pour 1 400 salariés – affiche même en 2010 un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros en progression de 10%. Son EPRD 2010 a été approuvé début juillet par son directoire. Résultat : « Nous allons créer en 2010 un grand nombre de postes, soit 103 personnes. » Pour Philippe El Saïr, « l’EPRD est une notion bien adaptée aux financements d’un hôpital. Toutefois, tout ne dépend pas de l’activité. D’où l’importance d’une bonne évaluation des missions d’intérêt général. Il faut être conscient que certains bassins de population diminuent. Dans ce cas les hôpitaux ne peuvent pas inventer de l’activité, et dans certaines régions moins attractives pour les médecins, il y a pénurie de professionnels de la santé. D’où l’importance des aides à la contractualisation… »
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