INSTALLEE depuis 1887 dans ses murs du XVe arrondissement de Paris, la vieille dame, comme on dit pour parler de la vénérable institution de la rue du Docteur-Roux, semble au bord de la crise de nerfs. La semaine dernière, tandis que se réunissait sous haute pression le conseil d'administration de l'institut, les pasteuriens en blouses blanches, ameutés par centaines à l'initiative de plusieurs syndicats et du mouvement Sauvons la recherche, battaient la semelle en brandissant des pancartes : « IP en danger », « Sauvons l'IP ». Certains, à l'instar de la CGT, réclamaient un changement de politique, tandis que d'autres dénonçaient nommément le président, Michel Bon, et le directeur général, Philippe Kourilsky.
Dans ce contexte tendu et confus, le conseil d'administration, « constatant l'importance des décisions à venir », a décidé de convoquer « dans les meilleurs délais » l'assemblée générale de l'institut. En fonction depuis janvier 2000, le Pr Kourilsky souhaite visiblement accélérer la manœuvre qui aboutira soit à la nomination d'un nouveau directeur général, soit à son renouvellement. Statutairement, cette décision devait être prise au plus tard fin 2005. Mais l'histoire paraît s'emballer rue du Dr-Roux.
Aggiornamento social.
Bien sûr, Pasteur n'a pas échappé aux turbulences qui agitent depuis des mois l'ensemble des structures de la recherche française. Parmi les principales pommes de discorde, l' aggiornamento social mis en œuvre par la direction ne fait pas l'unanimité. « La grille des salaires a été supprimée et l'avancement à l'ancienneté a disparu au profit de l'avancement au mérite, contradictoire avec l'esprit de la recherche, qui est un travail d'équipe », dénonce la CGT.
Fondation privée sans but lucratif, Pasteur n'a certes jamais appartenu au secteur public, mais ses us et coutumes en matière d'emploi ont davantage emprunté au système des organisme de recherche publics qu'aux règles du management à l'américaine. Là, justement, réside la cause de bien des tensions exacerbées. Car cette question de « l'emploi scientifique » est, selon l'analyse du Pr Philippe Kourilsky, l'une des principales clés de la crise de la recherche. Dans « du Nerf » (« Donner Un Nouvel Essor à la Recherche Française), le document qu'il a élaboré en mars dernier avec trois autres sommités scientifiques (les Prs François Jacob, Jean-Marie Lehn et Pierre-Louis Lions), il estime carrément que « le système de l'emploi scientifique en France est devenue caduc. Il a joué son rôle de façon très efficace pendant plusieurs décennies, mais le monde a changé et il est devenu obsolète ». Somme toute, le directeur général de Pasteur est dans la tourmente pour tenter de mettre en œuvre le programme qu'il a élaboré en trois points pour « une sortie de crise par le haut ».
Premier de ces points : l'augmentation des salaires, qu'il s'agisse des bourses des doctorants, des contrats à durée déterminée ou des postes stables, est certes consensuelle. Mais il en va autrement des deux autres : « Augmenter particulièrement les salaires des meilleurs chercheurs » et « modifier les systèmes d'évaluation scientifique ».
Le Pr Kourilsky dénonce « le piège de la bibliométrie aveugle » et « la difficulté de procéder à l'évaluation des performances individuelles face à la multiplication des travaux scientifiques collectifs ». « Il faut, assure-t-il, p oser la question du rôle des élus dans les dispositifs d'évaluation des pairs (...) En bonne logique, un système électif n'offre aucune garantie dans la poursuite de l'excellence. » Il se prononce pour l'internationalisation dans l'évaluation. Cela dit, « dès lors qu'un individu a fait ses preuves d'une façon quasi irréfutable », il estime qu' « un emploi scientifique stable doit être normalement attribué. Les chercheurs, comme d'autres, ont droit à un traitement social convenable, qui honore leur contribution à la vie nationale. La stabilité de l'emploi en fait partie et il n'y a aucune raison de déstabiliser la profession à un point tel que, sauf faute grave, un chercheur moins performant soit licencié de son poste à 50 ou 60 ans, au motif qu'il est moins performant. »
Diminution parfois radicale des moyens.
Les quatre signataires de « du Nerf » relèvent que, dans la plupart des pays, même les plus libéraux, la baisse de la performance est sanctionnée par la diminution, parfois radicale, des moyens de recherche. « A la limite, l'individu ne conserve que son salaire et un bureau. »
Si l'institut Pasteur n'est pas encore devenu le site expérimental de ce vaste programme, les personnels n'en sont pas moins préoccupés par la mutation qui se prépare.
D'autres projets sont en gestation, tel le départ à Fresnes (Val-de-Marne), provisoirement ou définitivement, de plusieurs unités, dans trois bâtiments que les Laboratoires Pfizer ont donnés en juillet dernier à l'IP. C'est que, installé en plein Paris depuis sa naissance, l'institut a grandi sur un campus de 5 ha, aujourd'hui saturé (9 m2 d'espace de laboratoire par personne) et frappé de non-conformités majeures sur les plans de l'hygiène et de la sécurité. Plusieurs scénarios ont donc été élaborés, qui prévoient la « délocalisation » transitoire ou définitive, de plusieurs laboratoires. Un redéploiement qui ne passe pas : les pasteuriens sont très attachés à leur site historique parisien et trouvent tout simplement insupportable de quitter le 15e arrondissement, ne serait-ce que pour quelques mois, le temps de réaliser les nécessaires travaux de modernisation. En son temps, un autre directeur général s'était cassé les dents face à cette crispation des esprits : Jacques Monod, il y a trente ans, avait dû renoncer à son projet de développement à Sophia Antipolis, dans des conditions incomparablement mieux adaptées aux standards d'une recherche performante.
Par ailleurs, la mise à la retraite de deux scientifiques, l'un fonctionnaire de l'Inserm, l'autre du Cnrs, mais tous deux sous contrat avec Pasteur, a provoqué la brutale montée au créneau du collectif des chercheurs Sauvons la recherche, bien que ce mouvement n'ait pas vocation à se mêler des conflits locaux. C'est assurément le symptôme du mal délétère qui sévit à l'institut Pasteur, dans l'attente d'une assemblée générale décidément cruciale.
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