23e JOURNEES DE L'HYPERTENSION ARTERIELLE Paris,11-12 décembre 2003 - Palais des Congrès - Porte Maillot

Et si le psychiatre avait raison...

Publié le 15/01/2004
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Hypertension artérielle résistante

Il fallait une certaine dose d'impertinence pour développer, devant un parterre de cardiologues rompus à l'analyse rationnelle des grands essais internationaux et confrontés quotidiennement à la précision croissante des protocoles thérapeutiques, un aspect de la relation de soin qui, par sa nature même, échappe dans une large mesure à l'excellence technique du thérapeute : celui de la dimension psychologique de la résistance aux traitements antihypertenseurs. Une manière en somme de rappeler que les incontestables progrès réalisés dans le domaine des médicaments comme dans celui de l'évaluation de leur efficacité ne doit rien enlever à l'humilité du médecin qui prend en charge un hypertendu. Quoiqu'un peu déroutés, les auditeurs n'en ont pas moins été séduits par l'intérêt de la communication libre du Pr Silla Consoli qui avait tout d'abord le mérite de faire le tour des principaux facteurs psychologiques d'inefficacité du traitement de l'hypertension :
- la « non-observance », en premier lieu, qu'elle soit reconnue ou dissimulée - et l'on rejoint dans ce dernier cas le cadre des pathomimies ;
- la composante psychologique des autres facteurs de risque cardio-vasculaire (tabac, surpoids, sédentarité...) qui représentent autant de freins physiologiques à l'efficacité du traitement ;
- « l'effet blouse blanche » qui se traduit par des chiffres de pression élevés observés uniquement en présence du thérapeute ;
- la fréquente association de l'HTA résistante et d'un authentique « trouble panique » (accès récurrents d'angoisse) non détecté ;
- les facteurs psychologiques responsables d'un mauvais ajustement au stress (on observe alors une HTA résistante malgré une observance correcte du traitement) ;
- et, pour finir, deux composantes particulièrement intéressantes de la relation médecin-malade : les croyances et l'attitude du thérapeute, le vécu du patient (frustration, injustice, découragement).

L'observance : nécessaire mais pas suffisante.

Il n'était pas inutile non plus de rappeler aux cardiologues présents les facteurs d'observance (parmi lesquels la confiance en son médecin, la peur de l'infarctus, le souci de contrôler l'élévation tensionnelle, la bonne tolérance des médications et le soulagement des symptômes fonctionnels de l'HTA) ou « d'inobservance » (les effets secondaires des médicaments, le vécu des médicaments comme d'une solution non naturelle, le caractère asymptomatique de l'HTA, la difficulté d'admettre qu'il faille continuer le traitement puisque la tension est normalisée, la crainte que les effets secondaires interfèrent avec des activités de la vie quotidienne, l'oubli du médicament lors des changements de rythme, l'adaptation du traitement à l'état émotionnel) invoqués par les patients traités pour HTA. Ne serait-ce que pour avoir le plaisir de citer, dans la diapositive suivante, le résultat paradoxal d'une étude portant sur 103 malades hypertendus, parue en 2001 dans le « BMJ » : que ce soit au sein du groupe des 49 patients caractérisés par une HTA résistante ou dans celui des 54 malades dont la tension artérielle avait pu être maîtrisée, la proportion des patients observants était parfaitement comparable (82 % dans le premier groupe, 85 % dans le second). Ce qui laisse entrevoir la complexité des facteurs qui finalement vont décider de l'efficacité des traitements ou de leur échec, même si l'on peut considérer avec un bon niveau de certitude que les patients effectivement observants ont plus de chance de voir corriger leur hypertension.

« L'inobservance » : défi et transgression.

A cet égard, Consoli et Vaure ont montré en 1999 que la qualité de vie intervenait dans l'observance du traitement antihypertenseur. Selon ces auteurs, cette dernière est moindre chez les patients dont la qualité de vie est considérée comme faible ou élevée que chez ceux pour lesquels elle est classée comme moyenne. Le même travail montrait qu'elle était meilleure chez les patients qui rapportaient en premier lieu le contrôle de leur HTA à leurs propres efforts ou au pouvoir des autres (du médecin) que chez ceux qui l'attribuaient à la chance.
L'inobservance, quant à elle, peut relever d'une attitude de défi ou de transgression de la part d'un patient avec lequel la mise en route du traitement n'a pas été suffisamment négociée. En effet, répondre positivement à une demande - un ordre, ici - de l'autorité médicale place de fait le malade que l'on n'a pas réussi à convaincre dans une position infantile ou adolescente. Or l'on sait que ces dispositions opposantes représentent en soi un facteur de risque cardio-vasculaire. L'analyse des étapes de « l'engrenage motivationnel » qui conduit à la bonne observance du traitement prend donc ici tout son sens. Il faut ainsi passer le temps nécessaire à faire en sorte que le patient non impliqué se sente concerné par l'information médicale et y adhère. Cette première étape l'amènera à la décision d'un changement de son mode de vie, puis à la mise en place d'un nouveau comportement. Dans le meilleur des cas, ce changement se maintiendra avec le temps, puis deviendra une nouvelle habitude. Dans les situations moins favorables, le patient retrouvera le comportement antérieur et c'est l'ensemble de ces étapes qu'il faudra à nouveau franchir.

Le médecin est aussi acteur de l'échec.

Enfin, le Pr Consoli n'a pas manqué de rappeler que si certaines caractéristiques communes aux patients présentant une HTA résistante peuvent être dégagées (malades plus irritables, anxieux, stressés, vivant leur pathologie comme un corps étranger, une source de contraintes et de frustrations, mais pas moins observants que les autres...), il en va de même... pour leur médecin. En effet, les thérapeutes qui considèrent comme ingrate la prise en charge de l'HTA et perçoivent cette pathologie comme mal comprise des patients, altérant leur qualité de vie, sont aussi ceux dont la proportion de malades résistants au traitement est la plus élevée (enquête DUO-HTA, fondée sur des questionnaires « en miroir », remplis par des patients hypertendus et par leur médecin). On peut donc évoquer ici un phénomène circulaire reliant, selon leur attitude vis-à-vis de la maladie et de son traitement, les patients et leur thérapeute : les médecins porteurs d'une vision négative de l'HTA et des hypertendus sont ceux qui ont le plus d'échecs thérapeutiques mais, du coup, le plus de patients difficiles ou ingrats, qui viennent confirmer la vision initiale du médecin. En revanche, les médecins motivés, qui considèrent l'HTA comme un domaine où il convient de faire confiance aux patients, comme une opportunité d'améliorer la qualité de vie, de trouver un mode de vie plus sain et qui voit dans la prise en charge de cette pathologie un apprentissage idéal de la relation médecin-malade, peuvent enclencher le cercle vertueux opposé point par point au précédent. D'ailleurs, l'analyse statistique des données de cette enquête confirme que le fait d'être suivi par un praticien classable dans la catégorie des « médecins motivés » prédit, après ajustement sur toutes les variables confondantes, et notamment les divers facteurs connus de résistance au traitement, un bon contrôle tensionnel.
Hélas ou tant mieux, il est possible de passer d'un cercle à l'autre. Le médecin devra en tout état de cause toujours traquer l'hostilité ou la dépression qui se cache derrière la mauvaise observance du traitement et préférer la « non-observance » qui permet d'ouvrir une négociation avec le malade à une observance servile qui appauvrit la relation thérapeutique.

D'après une communication orale du Pr Silla M. Consoli, service de psychologie clinique et psychiatrie de liaison, HEGP (Paris).

> Dr JEAN ANTHELME

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7457