L E Dr Harold Shipman, généraliste à Hyde, une petite ville tranquille près de Manchester, figure déjà en bonne position dans la sinistre galerie des plus grands serial killers de l'Histoire.
Le jury du tribunal de Preston l'a en effet reconnu coupable des meurtres de quinze femmes, ses patientes de longue date. Agées de 49 à 81 ans, elles ont été tuées en 1997 et 1998 par injection de diamorphine (héroïne). Ce qui a valu au praticien une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité (« le Quotidien » du 2 février 2000). Mais celui que le « Times » appelle le « Mengele britannique » est soupçonné d'avoir fait passer de vie à trépas bien plus de malades.
Un « supplément » de 250 morts
Pour étayer les soupçons, la justice avait commandé un rapport au Pr Richard Baker pour comparer les dossiers du Dr Shipman à ceux de praticiens exerçant dans la même région proche de Manchester. L'expert avait relevé un « supplément » de 250 morts. Des décès « en excès », repérés dès le début de la carrière du médecin, il y a vingt-cinq ans, et dont le nombre aurait augmenté rapidement. Les noms des éventuelles victimes ont été transmis au juge Janet Smith.
Cette magistrate spécialisée dans les affaires dites de « négligence médicale » (un intitulé qui prêterait à sourire sans la monstruosité du dossier) a décidé d'en avoir le cur net.
Convoquant les familles à Manchester, près de Hyde, elle a annoncé qu'elle ordonnait une enquête publique pour déterminer si le médecin a tué plus de 15 personnes et jusqu'à 466, voire davantage.
Pour se forger une conviction, l'enquête va à présent ouvrir les dossiers de chacun des 466 patients dont le Dr Shipman a signé les actes de décès. Elle va s'efforcer aussi d'entrer en contact avec les quelque 152 autres patients que le Dr Shipman a traités au cours de ses vingt-quatre ans de carrière.
Les investigations examineront encore les certificats de décès signés pendant les trois années où le généraliste exerça son art à Tomorden, dans le nord de l'Angleterre, avant de s'établir à Hyde, à partir de 1977.
« Je m'attends qu'il y ait beaucoup de cas où je serai en mesure de dire s'il existe un doute, pronostique la juge. Il y en aura d'autres pour lesquels ce ne sera pas possible ».
Janet Smith a exprimé l'espoir que cette enquête apporte aux familles un « sentiment d'achèvement ».
Ni autopsies ni ambulances
Jusqu'à son arrestation en 1998, le Dr Shipman, qui ne rechignait pas à faire de nombreuses visites à domicile, était un médecin apprécié, qui avait réussi à élargir sa clientèle à 3 000 patients. Mais en juin 1998, Kathleen Grundy, 91 ans, fut trouvée morte à son domicile, tandis que, le même jour, un testament léguant tous ses biens (d'une valeur de 613 000 euros) au médecin parvenait à un cabinet juridique local. La fille de Mme Grundy, elle-même avocate, exprima les premiers soupçons. Une enquête fut ouverte et 9 corps exhumés et autopsiés ; dans 8 autres cas suspects, une incinération avait eu lieu. Chaque fois, le Dr Shipman avait vu la patiente peu avant sa mort, et le décès avait été inattendu. Dans aucun des cas, le praticien n'avait ordonné d'autopsie ni appelé d'ambulance. De surcroît, il avait tout fait pour convaincre les proches de faire incinérer les corps. Mais il a toujours nié les faits.
La nouvelle enquête pourrait durer deux ans. Quelles qu'en soient les conclusions, elle ne pourra donner lieu à un nouveau procès. La justice britannique a en effet décidé que la publicité « énorme » faite au premier procès excluait toute possiblité de juger le médecin équitablement une seconde fois. Ainsi en a tranché le ministère public, toujours soucieux de préserver le droit de tout inculpé à un procès, sans préjugé.
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