De notre correspondant
O N peut penser ce qu'on veut de Craig Venter, de ses techniques hâtives, du lien qu'il a établi entre la science et l'argent, de sa méthode insidieuse pour faire du génome sa propriété personnelle. Il n'en a pas moins forcé Francis Collins à accélérer le projet des National Institutes of Health et pas moins réussi, en moins de trois ans, à apporter à la cartographie du génome humain la contribution la plus importante.
Aussi faut-il le prendre au sérieux quand il affirme qu'il s'attaque à la cartographie des protéines, qui sera un début d'application médicale des connaissances acquises grâce à la carte des gènes. Il se lance dans cette nouvelle aventure avec l'arrogance qui lui est coutumière et qu'a accrue, on s'en doute, son succès précédent.
A Rockville, dans le Maryland, à deux pas de Washington, il consacre le deuxième étage de son laboratoire au nouveau projet. « Nous allons utiliser pour l'identification des protéines les systèmes qui nous ont servi à élaborer le séquençage du génome, explique-t-il à ses visiteurs. Ce sera donc rapide et bon marché. »
Une opération commerciale
En effet, dès lors que Celera a décidé de collaborer avec le le projet génome humain de Collins et avec d'autres pays, ses perspectives financières ont été réduites par la décision de donner à tous les scientifiques un libre accès au génome.
Cette page étant tournée, Craig Venter veut utiliser le séquençage des protéines à des fins commerciales, en prenant des brevets pour ses découvertes qui permettront la mise au point de médicaments nouveaux et probablement performants puisqu'ils combattront les protéines identifiées comme source de maladies.
« C'était notre plan dès le début, affirme M. Venter. Nous n'attendions pas de retombées de la carte des gènes, mais nous savions qu'elle nous permettrait d'identifier les protéines produites par les gènes défectueux, et donc de les combattre. Cette fois, on ne nous reprochera pas de prendre des brevets. Notre approche de la question n'est pas différente de celle des laboratoires pharmaceutiques. »
Depuis un mois, les chercheurs de Celera s'efforcent de trouver les marqueurs de quatre cancers : sein, côlon, pancréas et poumon ; puis ils essaieront d'identifier les marqueurs de 25 autres maladies. En même temps, en collaboration avec sa filiale, Applied Biosystems, Celera se concentrera sur le recours à la génétique pour le diagnostic.
Selon Craig Venter, non seulement le séquençage des protéines franchit une nouvelle frontière mais il va révolutionner la recherche médicale qui va passer du laboratoire à l'ordinateur. « L'ordinateur va se transformer en laboratoire de recherche, affirme-t-il. En outre, dès lors que cette recherche est fondée sur la génétique, elle raccourcit la procédure des essais. Par exemple, il sera possible de connaître les effets indésirables ou toxiques d'un médicament avant même l'essai clinique. Ce qui économisera des millions de dollars. Et au lieu de se livrer à de multiples approches avant de trouver le bon médicament, ce qui amène les laboratoires à jeter un nombre considérable de molécules, les chances seront très grandes que la première molécule à l'essai sera la bonne. »
Un trésor de guerre
Celera a un trésor de guerre de un milliard de dollars (7,5 milliards de francs) qu'il a constitué en vendant de nouvelles actions et s'estime donc à l'abri de tout rachat par un groupe industriel plus puissant. Il a consacré 52 millions de dollars au premier trimestre 2001 à la recherche et au développement, et enregistre pour la même période une perte de 29 millions. Mais il table sur un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars en un an. Le laboratoire tire son revenu des abonnements à la cartographie du génome, qui lui ont rapporté 23 millions de dollars au cours du premier trimestre de l'année. Les abonnés sont des scientifiques travaillant à leur compte et qui paient environ 1 500 dollars par an ou des laboratoires dont la contribution peut s'élever à plusieurs millions de dollars.
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