L A secrétaire perpétuelle de l'Académie de sciences, Nicole Le Douarin, a gagné son pari : réunir sous l'égide de l'Institut de France les meilleurs experts internationaux des encéphalopathies spongiformes transmissibles et instaurer un dialogue inédit entre ces sommités françaises, britanniques, américaines ou suisses et les responsables politiques, sous l'il des journalistes, présents en grand nombre, anglo-saxons en tête, pour le troisième et dernier jour du colloque.
Le président de la République lui-même, sans avoir fait le déplacement au quai Conti, n'en a pas moins tenu à se manifester : pendant près de deux heures, il a réuni à l'Elysée plusieurs des intervenants du colloque, au premier rang desquels l'Américain Stanley Prusiner, prix Nobel 1997 et « découvreur » du prion. Jacques Chirac à salué cette « initiative importante et utile qui aidera à mieux connaître la maladie et à prendre conscience des risques ».
Lionel Jospin, pour sa part, a plaidé pour l'émergence d'une « démocratie du risque » qui allie information et débat public, afin de permettre « l'appropriation collective du risque ».
Evoquant la notion de principe de précaution, le Premier ministre a insisté sur la responsabilité, en dernier ressort, du pouvoir politique : « Si la politique doit se fonder pour préparer sa décision sur l'analyse, a-t-il expliqué, (celui-ci) est le seul à devoir décider ». Il ne saurait donc « chercher à se retrancher derrière le scientifique ». La priorité, naturellement, a rappelé M. Jospin, c'est la santé publique, et elle doit être « régulièrement réévaluée pour tenir compte de l'avancée des connaissances scientifiques ».
1 milliard pour les précautions
Exemple de cette indispensable remise à niveau des dispositions de précaution en fonction de l'évolution de nos connaissances : la circulaire sur la prévention du risque EST dans les hôpitaux (page 18), qui a fait l'objet de nombreuses questions adressées, à l'occasion de la clôture du colloque, à son coauteur, Bernard Kouchner. « Cette actualisation de nos précautions entraîne la mobilisation de moyens importants, avec un budget dégagé à hauteur d'un milliard de francs », a annoncé le ministre délégué à la Santé. Des crédits essentiellement destinés à l'équipement des établissement en autoclaves adaptés à la destruction du prion, c'est-à-dire capables d'atteindre la température cruciale de 132 degrés Celsius. « Une chose est de diffuser des circulaires, une autre de les faire appliquer, a ajouté Bernard Kouchner, annonçant que, tout en étant conscient des « importants problèmes d'application » posés aux structures hospitalières, il allait surveiller de près le bon respect du texte. « Nous n'oublions pas les cabinets privés, a-t-il précisé, qui réalisent un certain nombre d'actes élémentaires nécessitant aussi des mesures de précaution appropriées. Cela rend nécessaire l'effort d'information et de pédagogie que nous allons engager à leur attention. »
Un enjeu capital pour demain
Mais, comme l'avait annoncé Nicole Le Douarin au « Quotidien » (14 mars), c'est surtout à la biologie fondamentale qu'aura été consacré l'essentiel des communications du symposium. C'est logique, a souligné le Pr Prusiner : « Les investissements très importants qui sont aujourd'hui réalisés dans ce domaine nous entraînent vers l'étude d'autres maladies que les EST, telles les démences ou la maladie d'Alzheimer, aux frontières de tout ce qui concerne la dégénérescence cérébrale ; les principes que nous découvrons en recherche fondamentale nous permettent de mieux comprendre ces maladies émergentes qui constituent un enjeu capital pour les sociétés de demain. »
Certes, tous ces travaux, en biologie cellulaire ou en biologie moléculaire, ne sont pas de nature, en l'état, à soulever l'enthousiasme de l'opinion publique. Parfois même, l'étendue qu'ils accusent du champ de nos ignorances, par rapport aux étroites limites de nos connaissances actuelles, pourrait alimenter les peurs et les fantasmes.
Comme en est convenu Lionel Jospin, le fait de révéler un risque peut susciter des « angoisses collectives ». Pour autant, le Premier ministre estime que cette réalité ne saurait empêcher la diffusion de l'information, car « le partage de l'information disponible s'impose comme un choix éthique ». Il nous faut développer une pédagogie du risque pour « expliquer et clarifier, de façon responsable, ce qui doit l'être », a lancé le Premier ministre.
Une pédagogie dont Bernard Kouchner, à qui revenait la conclusion des travaux, a fourni l'illustration, sur un mode volontiers imprécateur. « L'affaire de la vache folle est avant tout une affaire d'humanité folle, a lancé le ministre de la Santé ; une humanité qui, pour s'être affranchie d'un principe de précaution élémentaire pour l'alimentation des ruminants, en leur donnant à manger des farines animales à la place de l'herbe, a déclenché la plus importante crise de santé publique depuis les premiers pas de l'Europe verte.
« Cette folie humaine a un nom, a-t-il poursuivi, c'est la dérive productiviste, dont on est parfois bien injuste en n'accusant que les seuls agriculteurs. C'est la société tout entière - vous et moi - qui a contribué au développement irraisonné de cette course effrénée au plus gros, au plus vite et au moins cher. »
Dans ces conditions, « nous devons saisir l'occasion de cette crise pour renforcer la cohérence de la politique européenne de santé publique, a déclaré Bernard Kouchner, en reconnaissant que « nous en sommes encore loin. J'ai plaidé il y a trois ans pour la création d'une agence en santé publique. Elle se met lentement en place. » En revanche, dans l'Hexagone, « avec les agences sanitaires créées en 1998 et 1999 (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), après les états généraux de la santé publique organisés en 1999 », la démocratie sanitaire semble sur les rails.
« On nous reproche notre transparence, mais c'est la seule solution en la matière, a insisté Bernard Kouchner. Face aux risques sanitaires, il faut développer la notion de responsabilité partagée entre les politiques, les scientifiques et les citoyens. C'est l'effort majeur qui sous-tend la pédagogie du risque. Pour faire dialoguer sans cesse pouvoir, savoir, recherche et information, sur un risque non plus imposé, mais librement choisi. » Ce que l'on appelle, précisément, « la démocratie sanitaire ».
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