« On est en train de crever » : le cri d’alarme du gestionnaire d’un centre de médecins spécialistes

Publié le 29/07/2014
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Crédit photo : DR

Gilbert Ricono est gestionnaire du centre médical du Mail, une ancienne maternité aux abords de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), transformée par ses soins et ceux d’un ami radiologue en maison de santé de spécialistes libéraux, en 1980.

Ancien biologiste diplômé de pharmacie, Gilbert Ricono a décidé de pousser un coup de gueule à coup de « phrases bien senties ». À 82 ans, il n’a rien à perdre, dit-il, à part son entreprise qui prend l’eau peu à peu, faute de nouveaux médecins spécialistes pour la faire tourner. Les rares qui osent s’aventurer dans cette ville de 17 000 habitants en repartent ou travaillent à l’hôpital. En ville, non.

Des locaux vides et des charges qui ne cessent d’augmenter

Le Centre est la seconde région la plus dépourvue en médecins spécialistes libéraux, après la Picardie. Un tiers des professionnels installés dans le Loir-et-Cher ont plus de 60 ans. À Romorantin-Lanthenay, il n’y a ni pédiatre, ni dermatologue. Un ophtalmologue subsiste. Les trois gynécologues s’en sortent (un peu) mieux. Selon les données de l’Ordre, les médecins généralistes ne manquent pas. Toutefois, aucun ne travaille au centre médical du Mail. « C’était une règle qu’on s’était fixée à l’époque, commente le gestionnaire. On ne recrutait que des spécialistes, afin de ne pas gêner le travail des généralistes du coin. »

Dans les années quatre-vingt, une cinquantaine de personnes, dont 15 médecins et une dizaine de paramédicaux travaillaient au centre médical. Depuis, on compte un gastroentérologue, un dermatologue, un gynécologue obstétricien, un orthophoniste et un orthoptiste en moins, témoigne Gilbert Ricono.

Restent trois radiologues, un ORL, un psychiatre, un stomatologue, un gynécologue et trois podologues. « Plein de locaux sont vides, se désole l’homme. Impossible de trouver des repreneurs. Du coup, les charges inhérentes à une structure de quatre niveaux de 440 m2 chacun avec ascenseur augmentent pour ceux qui restent. On est en train de crever. Encore un ou deux départs et nous mettrons la clé sous la porte. »

Normes absurdes

L’argent, M. Ricono dit ne pas trop s’en soucier. Son inquiétude : c’est l’offre de soins en spécialistes du cru. Le biologiste blâme l’Europe et le gouvernement. L’Europe et ses « normes absurdes qui nous imposent de changer un ascenseur qui fonctionne parfaitement et de construire un W.C. accessible aux handicapés sans aide aucune ». Le gouvernement, « qui n’en est plus à une stupidité près » et sa volonté de « tuer la médecine libérale » en prenant parti pour le salariat, les centres de santé et l’hôpital. « À croire que notre ministre suit la logique suivante : moins il y aura de médecins, moins il y aura de malades, moins il y aura de dépenses. Tragique. »

Gilbert Ricono détient 40 % des parts de la maison de santé. Il est las mais ne veut pas baisser les bras. Revendre ? « Nous sommes à la campagne. Les pigeons, ça ne court pas les rues. »


« Les temps sont difficiles, mais on se bat »
 
Le sombre témoignage de Gilbert Ricono sur l’avenir du centre médical du Mail a fait réagir le Dr Henri Hennet, chirurgien digestif retraité et Michèle Nuret, tous deux cogérants de la structure.
« Les temps sont difficiles, mais on se bat », tempèrent-ils, dans une lettre adressée au « Quotidien ». « Actuellement, toutes les petites villes de province ont du mal à recruter des médecins, en particulier des spécialistes. La ville de Romorantin-Lanthenay est dans la même situation que les autres, mais pas pire. »
À la suite du départ de plusieurs médecins, le Dr Hennet et Mme Nuret admettent avoir « quelques locaux à louer », mais préfèrent rester « optimistes ». La beauté et la situation géographique de la Sologne – à deux heures de Paris – autant que les conditions de travail offertes aux professionnels (remise aux normes des ascenseurs, accès handicapés, rénovation des parties communes)  devraient permettre au centre de reprendre du poil de la bête. Et de conclure : « Non, nous ne sommes pas en train de crever. Et nous croyons dans l’avenir. »
Anne Bayle-Iniguez Réaction publiée le 26 août 2014  

Source : lequotidiendumedecin.fr