E N publiant un rapport qui condamne les gouvernements de ces quinze dernières années - ils auraient tous menti sur le risque d'ESB -, le Sénat a provoqué une nouvelle tempête politique dont on dirait qu'elle ressemble davantage à un cyclone si on ne commençait à se lasser des superlatifs.
Mais le scandale porte sur la sécurité alimentaire et, comme pour le drame du sang contaminé, les Français, très sensibilisés par le problème, voudront peut-être demander des comptes à leurs anciens ministres et Premiers ministres.
Le ministre actuel de l'Agriculture, Jean Glavany, a aussitôt riposté par un tir groupé d'interviews dans lesquelles il dénonce une manuvre politique. La majorité sénatoriale est de droite, contrairement à celle de l'Assemblée ; en conséquence, le Sénat se livre depuis quatre ans à une petite guérilla sans grand effet contre le programme législatif du gouvernement.
Le Sénat existe
En outre, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, Lionel Jospin s'est posé à haute voix des questions concernant l'existence du Sénat, dont le mode d'élection ne lui semble pas suffisamment démocratique, mais qui surtout, à ses yeux, constitue le dernier rempart du conservatisme. C'est si vrai que Jacques Chirac en a fait une sorte de bastion de la droite en faisant remplacer l'ancien président de la Haute Assemblée, René Monory - un centriste - par le très RPR Christian Poncelet.
Depuis l'arrivée de M. Poncelet à la tête du Sénat, la vénérable institution essaie de prouver qu'elle existe au moins une fois par jour. La semaine dernière, elle a fait un éclat spectaculaire avec le rapport sur l'ESB.
Peut-on dire pour autant que le Sénat se soit montré partisan dans cette affaire ? Ses critiques accablent aussi les gouvernements de cohabitation, par exemple celui d'Edouard Balladur. Jean Glavany répond que les sénateurs socialistes n'ont pas avalisé le contenu du rapport, ce qui, dit-il, est sans précédent. Et qu'en tout cas, il se sent personnellement attaqué.
La très vive réaction de M. Glavany tend à entériner l'hypothèse selon laquelle le Sénat a voulu, principalement, discréditer la gestion de l'ESB par la gauche. Si tel est le cas, on est obligé de supposer que des poursuites judiciaires finiront par être lancées contre des membres d'anciens gouvernements.
Ne mentionnons aucun nom avant que la justice donne suite, ou non, au rapport sénatorial. Mais il faut bien imaginer que des charrettes entières de ministres passeraient devant la Haute Cour de justice.
S'agit-il d'un contre-feu aux soupçons qui pèsent sur la gestion de la Ville de Paris par son ancien maire et actuel président de la République ? Dans ce cas, disons-le tout net, on ne fait pas une campagne électorale sur la base du discrédit permanent de l'adversaire. Cette bataille de scandales qu'on se jette à la figure comme des enfants se lancent des polochons dans un dortoir représente la pire manière d'aborder la politique et rejaillit, une fois encore, sur l'ensemble de nos dirigeants, sans distinction de tendance.
Bien entendu, l'opinion ne s'intéresse pas à la dégradation des murs politiques en France ; elle ne s'apesantit pas sur un phénomène triangulaire au sein duquel politique, justice et presse sont interactives. Prompte à exiger des comptes, elle n'hésitera pas à faire le procès avant l'heure de ceux que le Sénat désigne, parce qu'il n'y a rien qui l'inquiète le plus, aujourd'hui, que l'insécurité alimentaire.
Il est donc impossible de proposer que gauche et droite soient renvoyées dos à dos et de faire du passé table rase. C'est pourtant ce qui serait souhaitable si l'on voulait que les rendez-vous électoraux de l'an prochain se déroulent dans un climat plus sain.
De plus, quand on connaît la lenteur des procédures, quand on sait que passer en Haute Cour conduit le plus souvent à une relaxe, quand on se rappelle que les procès du sang contaminé sont suspendus dans les limbes, sans qu'on sache quand ils auront lieu et s'il est même possible de rédiger contre les personnes impliquées un acte d'accusation assez solide, on devine que le ou les scandales, s'ils feront couler beaucoup d'encre, ne conduiront pas nécessairement à un assainissement de la vie politique.
On va trop loin
Bref, on va trop loin. Et il serait désolant que des élus se servent des craintes de l'opinion publique pour clouer ses dirigeants au pilori. Des poursuites sont toujours envisageables dans une atmosphère sereine et rationnelle ; mais sur la sécurité alimentaire, l'état des Français est proche de l'hystérie. On ne peut pas envoyer en prison, pour corruption, fraude, mensonges criminels, la moitié de ceux qui ont exercé un pouvoir ministériel dès lors qu'on risque de leur attribuer des responsabilités que peut-être ils n'avaient pas.
Il était déjà excessif de traîner Laurent Fabius en justice. Mitterrand ne l'avait tout de même pas nommé Premier ministre parce que c'était un spécialiste des maladies infectieuses. On s'achemine vers d'autres abus comparables. Va-t-on s'en prendre aussi à Edouard Balladur et pourquoi pas, à Lionel Jospin ?
Enfin, on doit se demander pourquoi l'ESB, qui a fait en Grande-Bretagne des ravages d'une dimension infiniment plus grande, n'a pas provoqué dans le même pays la tempête politique qui souffle en France. Pourquoi le sang contaminé, qui a tué des hémophiles américains, canadiens, allemands, britanniques, italiens et autres, n'a pas provoqué des séismes à l'étranger.
Pourquoi ? Sans doute parce que la ferveur individualiste a atteint en France un sommet. Parce que chaque citoyen s'estime d'emblée victime de l'Etat, même s'il ne souffre d'aucun mal ni d'aucune injustice. Parce que nous aimons renverser les statues, briser les socles et les piédestaux. Parce que, au fond de nous-mêmes, nous commençons à croire que le nec plus ultra de la démocratie consisterait à faire de l'électeur un être plus puissant que l'élu. C'est ce qui est dit dans les discours théoriques, mais les Français veulent passer des mots à quelque chose de plus concret.
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