L’ACTIVITÉ DES OPHTALMOLOGISTES a augmenté de plus de 50 % en 20 ans et cela pour de nombreuses raisons, dominées par le vieillissement de la population : les pathologies liées à l’âge sont nombreuses et le nombre des malades potentiels augmente. Le nombre de cataractes opérées a plus que triplé en 20 ans et les besoins de prise en charge de la DMLA ont explosé du fait de progrès médicaux décisifs et des soins répétés et coûteux.
À effectif égal, les ophtalmologistes ont pu accroître leur activité en augmentant leur temps de travail hebdomadaire (› 50 heures en moyenne) et en délégant une partie de leurs actes à des paramédicaux, orthoptistes essentiellement. Parallèlement, et de façon progressive, dans les régions les moins pourvues en ophtalmologistes, les délais de rendez-vous ont augmenté de façon insupportable.
La démographie des ophtalmologistes (numerus clausus trop bas et nombre de postes d’interne insuffisant) est la cause principale de cette difficulté de plus en plus grande d’accès aux soins pour une large partie de la population. Demain, cette crise démographique sera encore plus marquée.
Facteurs et acteurs généraux.
La dette publique et sa gestion sont aujourd’hui au cœur de la vie politique. La dette de la sécurité sociale l’est également. S’oppose aux activités de soins aussi bien à l’hôpital que pour la médecine libérale un ONDAM (objectif de dépenses d’assurance-maladie) de plus en plus bas, passant en 2012 de 2,8 % à 2,5 % pour une économie de 600 millions d’euros. Qui sera demain sollicité pour ces économies ? L’hôpital, la médecine libérale, les deux, et en quelle proportion ?
L’hôpital, c’est 50 milliards d’euros de budget par an avec 960 000 employés, dont seulement 94 000 médecins, pour deux tiers de l’activité, l’autre étant représenté par les cliniques privées avec 110 000 salariés et 40 000 médecins pour 10 milliards d’euros de budget (hors honoraires médicaux). On compare toujours les revenus des médecins du secteur public à ceux du secteur privé mais jamais ceux des autres personnels, qui, selon l’INSEE, sont toujours mieux rémunérés dans les hôpitaux publics que dans les cliniques privées. Quant à la convergence tarifaire entre les établissements publics et privés prévue depuis la réforme de la T2A de 2004, elle évolue tellement lentement que la date butoir de 2018 sera en toute certitude dépassée. Le dernier rapport de la Cour des comptes a chiffré à 7 milliards d’euros par an les économies potentielles d’un alignement des tarifs des secteurs public et privé, dont l’écart « facial » est évalué à 26 % actuellement (Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie [HCAAM]).
Il faut une réforme en profondeur de nos politiques de santé pour réaliser les indispensables économies selon l’évolution à la baisse de l’ONDAM et, également, pour améliorer les services publics et réformer le statut des personnels, statut qui contribue à bloquer les réformes de fond.
Par ailleurs, l’État et la CNAM présentent tous les inconvénients des monopoles d’État. La gestion de la CNAM privilégie ses intérêts propres, laxisme et absence de créativité vis-à-vis de ses clients (les assurés) et dureté vis-à-vis de ses fournisseurs les plus faibles (les professionnels de santé libéraux). La CNAM a toujours, après 65 ans d’existence, le même mode d’intervention avec un seul contrat d’assurance pour toute la population. En outre, l’État se doit de rester responsable pour fixer des objectifs et garantir, en apparence, la qualité et l’accès aux soins. Il doit également gérer les établissements publics de santé, ce qu’il fait plutôt mal si l’on en juge par les résultats actuels.
Les pouvoirs publics n’ont pas hésité ces derniers temps à augmenter plusieurs fois les taxes et prélèvements divers sur les assurances complémentaires. Cela témoigne de la faiblesse de celles-ci qui pourtant interviennent pour 10 à 12 % des dépenses d’assurance-maladie. Elles sont divisées en assureurs et mutuelles. Ces dernières sont beaucoup trop petites et nombreuses (près de 300 mutuelles), pour se défendre réellement et jouer leur rôle, même si elles sont regroupées dans le cadre de la Mutualité française. Ces assurances complémentaires n’ont que peu de pouvoir de négociation entre la CNAM et l’État et ne peuvent devenir, comme dans beaucoup d’autres pays, des acheteurs compétents de soins, mettant en concurrence les hôpitaux et les cliniques, ce qui concourrait de façon très efficace à la baisse des tarifs du secteur public et à la diminution du déficit de l’assurance-maladie.
L’égalité dans le nivellement.
Les syndicats médicaux horizontaux sont complices depuis deux décennies de la façon dont la CNAM et l’État agissent avec les médecins. L’objectif essentiel de ces syndicats est de défendre l’égalité dans le nivellement, comme à l’Éducation nationale. C’est le même tarif de consultation pour tous, sans progression de 30 à 65 ans s’ils exercent en secteur 1, sans évolution de carrière, la seule solution pour augmenter ses revenus étant de travailler plus. Quant aux autres médecins exerçant en secteur 2, c’est eux-mêmes qui augmentent leurs dépassements d’honoraires sans lien avec de quelconques critères de qualité. Régulièrement ces syndicats signent des conventions qui grignotent lentement les prérogatives de la médecine libérale. À côté de cela, la CNAM, tout en organisant à son avantage ses relations avec les médecins, s’en tient presque exclusivement à un rôle de payeur aveugle ne sanctionnant que les abus les plus marqués des consommateurs et des producteurs de soins.
Quant aux régimes de retraite des médecins libéraux, il n’échappe pas à la problématique générale de l’équilibre à moyen terme des régimes de retraite par répartition. En 2006, l’équilibre de la CARMF reposait sur la base de quatre actifs pour un retraité. En 2023 ce sera 2 à 2,5 actifs pour un retraité, ce qui démontre une fois de plus les limites des systèmes de répartition. Pour un nouvel équilibre du régime des retraites et en prenant en compte, d’une part, que les jeunes médecins s’installent de plus en plus tard et, d’autre part, que le numerus clausus a été beaucoup relevé depuis 10 ans, il faudra plus de cotisations, allonger la durée des cotisations, repousser l’âge de départ à la retraite et diminuer les pensions.
Et l’on trouve encore des économistes de la santé affirmant que l’avenir est radieux et que la situation financière de l’assurance-maladie n’est pas désespérée. « Le mouvement des dépenses de santé devrait être moins marqué dans les années à venir pour des raisons structurelles, car le nombre de médecins va diminuer », explique le responsable de la chaire santé de Sciences Politiques, confirmant l’opinion erronée véhiculée depuis 30 ans que les besoins de santé sont liés au nombre de médecins. C’est cette même théorie qui est responsable en grande partie du numerus clausus et aujourd’hui de la désertification médicale.
Enfin, le Conseil constitutionnel s’est prononcé en 2011 sur la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2012. Les « sages » ont invalidé, entre autres, un article (considéré comme un cavalier social) prévoyant la prolongation jusqu’en 2014 du dispositif transitoire d’autorisation d’exercice pour les médecins étrangers non ressortissants communautaires. Ce sont 5 000 médecins à diplôme étranger exerçant essentiellement dans les hôpitaux généraux qui voient leur avenir professionnel en France compromis. Quels médecins les remplaceront demain ? Même si le ministère de la santé, par un autre décret, promet cette prolongation jusqu’en 2014, ce système ne pourra que s’épuiser. En revanche, d’autres médecins à diplôme communautaire les remplaceront, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.
Au total, parce que le fonctionnement actuel est très imparfait, notre système de santé ne pourra que s’améliorer pour mieux gérer des besoins en augmentation avec déjà aujourd’hui 11 % de notre PIB consacrés à notre santé, ce qui nous place en deuxième position dans le monde derrière les États-Unis.
En conclusion, et pour revenir à la situation des ophtalmologistes, il faut rappeler qu’ils ont la chance, par rapport à la majorité des autres spécialités médicales et chirurgicales, de pouvoir réaliser une part d’activité non négligeable hors du champ de l’assurance-maladie. Il s’agit de la chirurgie réfractive qui s’adresse déjà à tous, de la part réfractive de la chirurgie de la cataracte mais aussi de la chirurgie du regard ou encore de la contactologie.
Mais les ophtalmologistes doivent bien garder à l’esprit que les patients qui les consulteront viendront souvent au départ pour l’évaluation de leur réfraction ou le renouvellement de leurs verres correcteurs. Plus que jamais cette partie essentielle de l’activité des ophtalmologistes doit être préservée, en les déléguant à des paramédicaux travaillant sous leur responsabilité dans leurs structures. Sans cette démarche volontaire, les ophtalmologistes verront ce pan entier de leur activité transféré aux opticiens, voire aux optométristes.
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