L E sénateur Huriet a la tutelle dans le collimateur. La tutelle, entendez la direction générale de la Santé (DGS) et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l'une et l'autre administrations en charge de l'application de la loi sur « la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ».
Ce texte, plébiscité par les parlementaires de tous bords le 20 décembre 1988, n'est plus contesté, souligne le Pr Huriet (groupe Union centriste, Meurthe-et-Moselle), en introduction au rapport qu'il a remis à la commission des Affaires sociales du Sénat. Mieux, il a largement inspiré la directive européenne relative aux essais cliniques, adoptée par le Parlement de Strasbourg le 26 février dernier.
« Incapacité des pouvoirs publics »
Mais le constat de carence dressé par le copromoteur de la loi qui porte son nom n'en est pas moins ravageur. Passe que la tutelle ait traité par le mépris les neuf questions écrites qu'il lui a posées, toutes restées sans réponses. Mais, plus que la mauvaise volonté, c'est « l'incapacité des pouvoirs publics » que dénonce devant les médias le Pr Huriet, avec une véhémence qui ne lui est pas coutumière.
Car l'incurie lui semble d'autant plus grave qu'elle touche « les piliers sur lesquels repose une bonne application de la loi », ces CCPPRB qui ont mission d'émettre des avis, consultatifs, mais obligatoires, sur tous les protocoles d'expérimentation thérapeutique.
Les piliers vacillent sur leur base, en effet, qui consiste dans leur composition pluraliste : quatre personnes, dont au moins trois médecins, qui ont une qualification et une expérience approfondie en matière de recherche médicale, un médecin généraliste, deux pharmaciens, dont l'un au moins exerce dans un établissement de soins, une infirmière, une personne qualifiée à l'égard des questions d'éthique, une autre spécialiste du domaine social, un psychologue et un juriste. Or les gages de crédibilité des comités, qui découlent de la diversité des compétences en leur sein en y empêchant la création de lobbies, sont menacés par « un fort absentéisme de certaines catégories de membres », lors des réunions mensuelles.
Indemniser les médecins
Pour y remédier, le Pr Huriet estime « indispensable » que « les professions libérales, notamment les médecins et les pharmaciens, puissent être indemnisées des contraintes que leur impose la participation aux travaux des comités ». Or une telle mesure serait parfaitement possible sur le plan financier. A preuve, la « cassette » que le rapporteur de la Haute Assemblée, au hasard de ses investigations, a réussi à dénicher : « Une cagnotte de près de 13 millions de francs, qui procède de la perception des droits fixes que les administrations, selon la loi, devraient redistribuer aux comités. Treize millions qui avaient fait l'objet d'un prélèvement temporaire de la part de la direction générale de Santé, laquelle n'aurait probablement jamais remboursé cette somme si le Sénat n'avait pas mené l'enquête. On reste pantois devant de tels procédés ! », s'exclame, indigné, le Pr Huriet, qui en appelle à un minimum de « transparence sur les procédures d'affectation des moyens budgétaires ».
Parmi les autres propositions, la création d'un statut juridique des comités est, justement, destinée à faire contrepoids à l'hégémonie de la tutelle. Pour l'heure, en effet, les CCPPRB ne sont pas plus des associations selon la loi de 1901 que des structures publiques. Le Pr Huriet propose qu'elles soient constituées en établissement public, ce qui permettrait, chemin faisant, la constitution de bases de données reprenant les avis des 48 comités, avec une information de chacun d'eux sur les résultats des recherches qu'ils ont autorisées, information dont bénéficieraient également les personnes qui ont accepté de se prêter à ces recherches.
A ces propositions, la mission d'information ajoute encore trois suggestions :
- clarifier la distinction entre les essais avec ou sans bénéfice direct : une meilleure diffusion des bonnes pratiques permettrait d'homogénéiser les critères de qualification selon lesquels la loi prévoit des procédures très différentes dans les modalités des recherches ;
- renoncer à contraindre les promoteurs des essais thérapeutiques à fournir gratuitement les dispositifs médicaux : l'internationalisation des entreprises médicales et l'expatriation de certains chercheurs rendent en effet cette disposition préjudiciable à la recherche française ;
- associer davantage les personnes qui se prêtent à la recherche : les « cobayes » humains pourraient faire valoir, à l'occasion du recueil qui est fait de leur consentement, leur volonté de recevoir ou non des informations relatives aux résultats des recherches (possibilité qui leur est aujourd'hui refusée).
Autant de pistes qui répondent à de sévères critiques sur les pratiques actuelles. Sans toutefois aller jusqu'à considérer comme négatif le bilan de la loi de 1988, souligne celui qui en est tout à la fois le principal auteur et le premier critique.
La révision des lois bioéthiques se fait attendre
« Vous pouvez corriger le texte de mon rapport, lance, désabusé, le Pr Huriet, à l'adresse des journalistes venus à sa conférence de presse au Sénat ; à chaque fois que j'ai écrit "à la veille de la révision des lois bioéthiques", il faut lire désormais "dans la lointaine perspective de la révision des lois bioéthiques". »
C'est que le coauteur de ces lois est sous le coup de l'annonce faite par le ministre des Relations avec le Parlement Jean-Jacques Queyranne, du programme de travail parlementaire d'ici aux vacances d'été. Contrairement aux promesses officielles plusieurs fois réitérées, la révision des lois bioéthique ne figure pas dans ce calendrier.
Une loi qui, le législateur en avait pris l'engagement, aurait dû être revue et corrigée il y a déjà deux ans.
Le programme détaillé de l'Assemblée jusqu'au 30 juin ne fait pas davantage mention de la loi sur la modernisation du système de santé, qui comprend, notamment, l'indemnisation de l'aléa (diagnostique, thérapeutique et préventif).
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