Cosigné par le député Christian Bataille et le sénateur Henri Révol, le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur « les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 » vaut quitus en termes de santé publique. Aussi bien pour les personnels du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), chargés des campagnes d'essais, que pour la population civile de Polynésie française.
Les premiers ont fait l'objet d'un suivi médical constant, qui a permis de relever en trente ans (1966-1996) vingt cas de maladies professionnelles reconnues, le plus souvent dépourvues de tout rapport avec des irradiations (5 conjonctivites du ciment, 5 cas de gale du ciment, 2 surdités pour travaux sonores). Un accident a aussi été déploré (l'explosion chimique de vapeurs d'acétate lors de la décontamination d'un bunker dédié à des expériences de physique), qui a fait deux morts et deux blessés.
250 000 dosimètres
Pour mesurer les irradiations subies par les quelque 57 750 collaborateurs du CEP pendant les essais effectués dans l'atmosphère, les relevés des 250 000 dosimètres qui ont été distribués permettent de conclure que 93,5 % ont reçu une dose nulle, 6,5 %, soit 3 425 personnes, ayant reçu des doses mesurables. Parmi elles, 7 ont subi une irradiation supérieure à la norme annuelle de 50 mSv*. Dans 4 cas, il s'agissait de pilotes d'avion chargés de vols de pénétration dans le nuage radioactif consécutif au tir. L'un d'eux a été exposé à 180 mSv, soit légèrement plus que la dose limite*. Dans 2 autres cas, il s'est agi de 2 médecins qui ont été exposés lors d'examens radiologiques (60 et 54 mSv).
A l'occasion des essais souterrains (1975-1996), le suivi dosimétrique effectué sur un total de 5 000 personnes n'a enregistré que 16 doses comprises entre 5 et 25 mSv. Et aucune dose n'a été mesurée pour les personnels lors de la période du moratoire (1992-1996).
Un suivi épidémiologique compliqué
Pour les habitants du territoire de Polynésie française (220 000, dont 192 000 nés sur place, selon le dernier recensement disponible), le suivi épidémiologique est compliqué, note le rapport, en raison de la faiblesse numérique de la population, de son éparpillement extrême sur une superficie immense et de la faiblesse des statistiques sanitaires. L'outil de référence n'a été créé qu'en 1983, avec l'ouverture du registre des cancers.
Jusqu'alors, la cause de la mort n'était même pas mentionnée dans les actes de décès. A partir de 1994, le groupe de recherches sur les effets cancérogènes des radiations ionisantes (unité INSERM d'épidémiologie des cancers dirigée par le Dr Florent de Vathaire), en liaison avec l'institut Gustave-Roussy (Villejuif) et le centre hospitalier de Mamao à Papeete, a publié plusieurs études sur des tumeurs susceptibles d'être radio-induites.
Pour les leucémies, ces travaux concluent qu'il n'est pas constaté « d'incidence accrue en Polynésie française par rapport à celle observée chez les Maoris de Nouvelle-Zélande ou chez les Hawaiiens pour la période 1988-1992 ».
Pour les cancers de la thyroïde, les études montrent nettement une incidence plus élevée de cette pathologie, avec 153 cas pour l'ensemble de la période 1985-1995. « Etant donné que la différence entre les populations polynésiennes et les populations de référence n'était pas plus importante pour les Polynésiens encore enfants lors des essais que pour les Polynésiens nés antérieurement, comme l'on s'y serait attendu dans le cas d'une contamination à l'iode radioactif », les auteurs estiment que « les taux élevés de cancer de la thyroïde en Polynésie française peuvent difficilement être attribués aux retombées d'iode radioactif. Néanmoins, une surveillance de la population née près de Mururoa est nécessaire afin de confirmer ou de nier l'existence d'un risque plus élevé de cancers de la thyroïde au sein de cette population ».
L'office parlementaire conclut à la « nécessité de poursuivre la recherche sur les facteurs de risque de ces cancers et, sur ce seul point, la pérennité du registre des cancers, élément statistique de base devant être assurée ».
Les rapporteurs recommandent également qu'il soit mis « fin à la disparité constatée au détriment des personnes qui relèvent du code des pensions civiles et militaires par rapport à celles qui relèvent du régime général des maladies professionnelles » : « La législation française ne les traite pas actuellement de la même façon, souligne Henri Révol, un civil pouvant déclarer une maladie professionnelle, ce qui n'est pas le cas pour un militaire. »
En outre, le statut des atolls qui ont servi de sites d'essais et n'ont jamais été habités par une population locale ne devra pas être modifié : ils demeurent des sites de stockage de déchets nucléaires, gérés selon les précautions qui s'imposent, et ne devront pas être habités à l'avenir. La présence, en revanche, d'un détachement chargé de la surveillance et de la logistique des travaux scientifiques y restera « tout à fait indispensable ».
Au total, la France se sera livrée à 210 essais nucléaires, d'abord atmosphériques, puis souterrains. Des essais qui « ne se sont pas réalisés sans altérer l'environnement des sites utilisés et sans prendre de risques humains », souligne le rapport, qui conclut qu' « on peut toutefois considérer que ces effets ont été limités ».
« Toutes ces conséquences sont dérisoires comparées à celles (...) des essais réalisés par les deux grandes puissances à partir de 1945, considèrent les parlementaires (...) A titre de comparaison, pour l'ensemble du Pacifique, de 1946 à 1962, les Etats-Unis ont procédé à 106 essais atmosphériques et la Grande-Bretagne, à 22 tirs, entre 1952 et 1952 ; la totalité des essais réalisés dans cette zone représente 170 mégatonnes environ, la part française étant estimée à 10,1 mégatonnes pour 41 essais atmosphériques. »
* Selon les règles et les pratiques de surveillance radiologique des personnels, des populations et de l'environnement déterminées par la Commission consultative de contrôle et la Commission internationale de protection radiologique (CIPR).
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