C'est le Pr Laurent Degos, directeur de l'Institut universitaire d'hématologie à l'hôpital Saint-Louis, qui a suscité l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les essais de phase I chez les malades atteints de cancer.
Les essais de phase I sont définis comme les premiers essais réalisés chez l'homme à la suite des expérimentations animales.
Leur principal objectif n'est pas de rechercher un effet thérapeutique, mais d'évaluer la toxicité en déterminant la dose maximale tolérée. Ils sont réalisés selon des protocoles scientifiques très contraignants (compétence de l'équipe reconnue, locaux agréés) et impliquent un processus d'escalade des doses qui sont administrées à de petits groupes distincts. Ils sont en général effectués chez des volontaires sains. Cependant, en cancérologie, les molécules anticancéreuses étant en général très cytotoxiques, les essais de phase I ne peuvent être réalisés sur des volontaires sains mais sur des patients atteints de cancer qui sont en impasse thérapeutique et donc particulièrement vulnérables. Dans ce cas, les essais de phase I ont pour but d'évaluer la tolérance et la toxicité d'un nouveau médicament sans rechercher directement un bénéfice thérapeutique chez le malade qui y participe.
Un bénéfice collectif
Plusieurs questions éthiques découlent de cette situation, « dans la mesure où la véritable finalité de tels essais est l'intérêt collectif », précise le CCNE : comment informer le malade pour que celui-ci puisse donner un consentement réellement éclairé ? Quelle position le médecin doit-il adopter pour que le souci de la recherche médicale ne déborde pas sur l'obligation de soins ?
Selon le CCNE, « le médecin doit éviter l'ambiguïté et dire clairement que le but de ces essais de phase I n'est pas d'apporter un bénéfice au malade mais un bénéfice collectif, même si la première éventualité ne peut être exclue, souligne-t-il. L'objectif n'est ni de mentir ni d'anéantir tout espoir ». Pour les Sages, le contrat réciproque de confiance entre le médecin (l'équipe soignante y compris) et le malade constitue « l'unique manière de réduire la tension éthique légitimement suscitée par ces essais de phase I ».
Toutefois, afin d' « augmenter les chances d'obtenir un quelconque bénéfice thérapeutique pour le malade », les Sages envisagent certaines modifications de procédures et de réglementations. « Les procédures d'enregistrement à l'échelon européen de molécules déjà testées et utilisées à l'étranger devraient être simplifiées (au niveau national), et prendre en compte les phases I déjà effectuées pour ne pas les recommencer inutilement », disent-ils.
Toxicité et efficacité
Il faudrait également que les essais de phase I puissent être menés le plus rapidement possible pour qu'un essai de phase II recherchant l'efficacité et non plus seulement la toxicité soit proposée aux malades dans les plus brefs délais. Sur le plan réglementaire, le CCNE estime qu'il « conviendrait pour des raisons scientifiques et éthiques de ne pas exiger la recherche systématique de la dose toxique pour les nouvelles molécules non cytotoxiques qui pourraient peut-être être initialement administrées à des volontaires sains ». Tandis que, sur le plan scientifique, le CCNE suggère aux pouvoirs publics d'encourager et de « considérer comme prioritaire le développement des recherches permettant de modifier les modalités méthodologiques des essais de phase I en cancérologie à diminuer le risque de toxicité et à rechercher conjointement toxicité et efficacité ». Mais attention, il ne s'agit pas pour autant de tromper le malade en lui donnant de faux espoirs. Le CCNE conseille même, pour raison éthique, de ne s'adresser qu'à des malades « qui sont certes en impasse thérapeutique mais sans être réellement en fin de vie, afin de ne pas inclure dans ce type d'essais des personnes particulièrement vulnérables, souvent prêtes à se soumettre à tout essai de phase I sans en avoir bien compris le but et la portée ».
Le CCNE rappelle par ailleurs que la qualité de vie doit toujours être prise en compte : « Les interférences éventuellement suscitées par une interaction médicamenteuse où la place des antalgiques est majeure à cette phase de la maladie, ne doivent jamais faire primer les exigences de la pratique des essais de phase I sur l'approche palliative adaptée à l'état du malade, qui reste toujours prioritaire ».
L'homme face à la société : ces deux notions ne sont pas toujours faciles à concilier. Mais pour le CCNE, « le droit de la personne ne peut pas être mis en opposition avec le devoir de solidarité. La société dans son ensemble doit être consciente que l'exigence de la recherche peut conduire à privilégier parfois les intérêts de la communauté. Cependant, cette conscience même n'abolit jamais l'impératif majeur de respecter totalement cette personne qui, par sa maladie même, peut en effet venir en aide à l'humanité ». Les idées sont là, la pratique doit suivre.
Avis n° 73 disponible sur www.ccne-ethique.org.
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