Serons-nous demain plus performants ? Et vivrons-nous plus vieux ? L’IRMES documente depuis une dizaine d’années les réponses à la première question en analysant les performances sportives et en montrant que la devise olympique (« citius, altius, fortius », plus vite, plus haut, plus fort) semble de moins en moins d’actualité.
Pour répondre à la deuxième question, plus vieux, l’équipe du Pr Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’université Paris-Descartes, a rassemblé sous la houlette du chercheur Adrien Marck, des spécialistes de la longévité, du climat, de la biodiversité et de l’énergie. « Pour la première fois, souligne Adrien Marck, nous montrons que les tendances historiques dans chacune de nos disciplines sont concordantes pour trois indicateurs majeurs : les records mondiaux (performances physiologiques maximales), la taille adulte et la durée de vie maximale. Les progrès scientifiques et médicaux, politiques et sociaux réalisés au long du XXe siècle ont permis à l’homme de devenir plus grand, plus athlétique et de vivre plus longtemps. Mais on constate depuis deux décennies que pour ces trois items, l’homme plafonne. »
Sport
L’analyse de toutes les séries de records enregistrés depuis 1896 jusqu’à 2016, dans tous les sports, course, natation, saut, haltérophilie, cyclisme, ski ou patinage enregistre une progression constante jusqu’à la fin du XXe siècle (exception faite pendant les deux guerres mondiales) ; pour le 100 m, le record est passé de 11 secondes en 1889 à 9,58 secondes en 1997 ; pour la nage libre, on est passé de 65 secondes en 1905 à 49,9 secondes en 2009. Or, depuis le milieu des années 1980, on observe un plateau de performances, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Les scores des deux tiers des épreuves d’athlétisme stagnent depuis les années 1980 et, pour les décennies à venir, les experts prévoient des gains limités à 0,5 %. À telle enseigne que la technologie et le recours aux EPO, aux hormones de croissance, aux stéroïdes et autres amphétamines sont devenus les moyens de repousser artificiellement les limites des performances physiologiques.
Taille adulte
Pour ce biomarqueur également précis qu’est la taille humaine, entre 1896 et 1996, le gain de progression a été mesuré à 8,8 cm pour les hommes et 8,3 pour les femmes, avec, là encore, un plateau constaté depuis 30 ans : pour les populations d’Europe et d’Amérique du Nord, la taille reste stationnaire depuis trois décennies, ce que confirment les mesures effectuées parmi les athlètes, aussi bien en football (1,87 m), qu’en basket (environ 2 mètres). Les Néerlandais, aujourd’hui les plus grands sous la toise planétaire (1,82 mètre pour les hommes, 1,68 pour les femmes) n’ont plus gagné un centimètre en vingt ans. C’est la première génération à ne pas grandir, alors même que les progrès se poursuivent dans les domaines nutritionnels, médicaux et scientifiques.
Espérance de vie
Les mêmes progrès énergétiques, technologiques, politiques et sociaux accumulés tout au long du XXe siècle ont permis de vivre plus longtemps. Entre 1896 et 1997, année de la mort de Jeanne Calment, la durée maximale de vie a progressé de 110 à 122,4 ans, record toujours détenu par la doyenne des Français. Or, depuis deux décennies, nul ne s’est approché de ce maximum de longévité, les derniers records s’établissant entre 115 et 120 ans. Certes, le nombre des centenaires s’accroît, mais plus personne ne passe le cap des 120 ans. Même parmi les athlètes olympiques, dont l’espérance de vie est supérieure de 6 ou 7 ans à celle de la population générale, la durée maximale de vie n’excède pas 106 ans. Jeanne Calment aurait donc marqué la limite biologique supérieure dont de plus en plus de personnes se rapprochent, mais, selon les projections des modèles mathématiques, sans que personne ne puisse la rattraper au cours des trente ans qui viennent.
Déclin
La longévité de l’homo sapiens, comme ses performances physiques, a atteint son sommet. Et elle pourrait même décliner. Aux analyses fondées sur des données biologiques statistiques précises, l’étude dirigée par Adrien Marck ajoute des éléments prospectifs environnementaux qui militent pour la décroissance de l’espérance vie. Alors que les progrès énergétiques et technologiques ont permis d’atteindre en un siècle le potentiel physiologique actuel, leurs évolutions menacent aujourd’hui la santé. Le réchauffement climatique, les reculs de la biodiversité, la raréfaction des ressources, l’acidification et la montée des océans constituent autant de freins à venir ; les premiers effets délétères sur la santé et sur le cadre de vie sont déjà mesurables : progression de la sédentarité et recul des capacités d’endurance des enfants dans la majorité des pays développés, baisse de la taille dans des pays où ont éclaté des émeutes de la faim, comme l’Égypte, amorce de diminution de l’espérance de vie pour certains groupes sociaux comme aux États-Unis.
Non seulement l’étude entend démontrer que le temps de la croissance est révolu, mais elle tire la sonnette d’alarme sur la décroissance qui va bientôt impacter la durée de vie. Plus courte la vie !
*Marck A & all, Are we reaching the limits of Homo Sapiens ? Front. Physiol. 8 : 812. dol : 10.3389/fphys.2017.00812.