Les mécanismes permettant la commensalité, c'est-à-dire la survie équilibrée d'une bactérie au sein d'un hôte, constituent une question centrale en biologie, comme tout ce qui touche à l'établissement de convergences et au maintien des équilibres. Incidemment, il s'agit aussi d'une question centrale en infectiologie, lorsque, justement, l'équilibre est rompu, ou impossible à trouver. L'article de « Nature » apporte quelques lumières sur les mécanismes permettant à B. fragilis, qui colonise l'intestin humain, d'échapper à l'immunité. La bactérie semble pouvoir moduler l'expression de huit antigènes polysaccharidiques grâce à l'activation, au niveau de l'ADN, des promoteurs des gènes déterminant la synthèse et l'exposition membranaire de ces polysaccharides.
Diversité de polysaccharides membranaires
En fait, une telle diversité de polysaccharides membranaires constitue une information en soi. Quatre d'entre eux étaient déjà connus, ainsi que les locus portant les gènes nécessaires à leur expression. Pour identifier les quatre autres, les Américains ont recherché dans la séquence de l'ADN de B. fragilis (pratiquement achevée par le centre Sanger), des gènes ressemblant aux gènes des quatre locus déjà connus. De tels gènes ont pu être identifiés. Et, en créant divers mutants, puis en les soumettant à un jeu d'anticorps, il a été possible de montrer que les quatre locus paralogues codent effectivement quatre polysaccharides antigéniques supplémentaires.
Le « marquage » de la surface bactérienne par les différents anticorps a ensuite été visualisé en microscopie électronique. La fixation des anticorps apparaît localisé à des portions seulement de la membrane. Par ailleurs, la fraction de surface marquée varie considérablement au gré des repiquages successifs des cultures, ce qui suggère un phénomène de régulation de l'expression des polysaccharides, plutôt qu'un phénomène d'inactivation irréversible, type mutation. Des doubles marquages, par deux anticorps, ont, enfin, montré que la régulation de l'expression de chaque polysaccharide est indépendante des régulations des autres polysaccharides.
C'est l'analyse moléculaire qui a révélé le mécanisme de ces régulations autonomes. Dans sept des huit locus - mais on peut supposer que le huitième renferme un mécanisme analogue -, il a été montré qu'un promotteur de transcription pouvait changer d'orientation, après un processus d'excision/réinsertion qui reste à préciser. Selon l'orientation d'un promotteur, les gènes portés par le locus correspondant seront donc transcrits, ou non, et le polysaccharide sera, ou non, synthétisé et exposé par la bactérie.
Phénomène d'inversion d'un promoteur
En culture, ce phénomène d'inversion d'un promoteur semble survenir avec une fréquence de l'ordre de 0,01 par cellule et par génération. Mais, comme le soulignent les auteurs, ces inversions sont sans doute sujettes à une régulation par l'environnement, autrement dit, par l'hôte lui-même. C'est là la limite de ce travail. Est décrit, à l'intérieur de la bactérie, le mécanisme moléculaire qui relaye l'interaction avec l'hôte, laquelle permet, en définitive, l'équilibre entre les deux partenaires. Le problème est qu'on n'a aucune idée de cette interaction primaire. Tout au plus peut-on l'envisager comme une sorte de « contraire » de l'immunité. Celle-ci élimine les bactéries en excès. Mais, par ailleurs, on peut imaginer que c'est l'hôte lui-même, l'environnement de la bactérie, qui oriente une fraction de la population vers une expression antigénique lui permettant d'échapper à l'immunité, et de perdurer, à bénéfice réciproque. Cette question, tout à fait essentielle, de ce qui, biologiquement, ne relève pas du « struggle for life », reste entièrement ouverte.
C. M. Krinos et coll. « Nature », vol. 414, 29 novembre 2001.
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