Le bilan effectué lors du dixième anniversaire de l'ADEREST (voir encadré) montre à la fois la diversité des thèmes abordés, qui collent à l'actualité (troubles musculo-squelettiques, violence au travail, cancers professionnels, précarité, etc.), et l'apport spécifique des colloques de cette association.
Cette spécificité consiste notamment à mettre en place des ateliers de formation à la méthodologie de recueil et d'analyse des données en épidémiologie professionnelle ( « effet travailleur sain », interprétation des études négatives, utilisation d'échelles de mesure de santé perçue, etc.).
Un programme d'actualité
Le programme du 8e Colloque ne dérogera pas à cette règle.
- Les trois conférences invitées porteront en effet sur le suivi épidémiologique de l'explosion de l'usine AZF, les enquêtes européennes sur les conditions de travail et, enfin, sur les articulations entre santé au travail et santé publique.
- Les ateliers de formation porteront, quant à eux, sur les échelles de mesure en santé mentale, sur la prise en compte des facteurs de confusion dans les enquêtes épidémiologiques et, enfin, sur les nomenclatures des professions, activités et nuisances.
- Les communications orales et les communications affichées, plus diversifiées, feront une large part aux problèmes de souffrance psychique au travail en relation avec les nouvelles formes d'organisation du travail, aux troubles musculo-squelettiques, avec les données de l'observatoire des Pays de la Loire, et aux facteurs étiologiques et à l'évaluation des fractions attribuables des cancers professionnels.
Un manque de données précises
Dans ce programme apparaîssent donc en filigrane les enjeux auxquels est confrontée l'épidémiologie professionnelle en France actuellement. Le besoin de connaissances dans des domaines aussi variés que les cancers professionnels, l'effet des nouvelles organisations du travail sur la santé, le harcèlement moral est aujourd'hui important. Le récent rapport d'orientation sur le cancer a souligné à la fois le poids des facteurs professionnels dans la genèse des cancers, en particulier bronchiques et vésicaux, et, dans le même temps, le manque de données précises sur les fractions attribuables de ces facteurs dans les pathologies tumorales, la difficulté à appréhender les expositions professionnelles passées et la sous-déclaration en maladie professionnelle des cas de cancers.
Le nombre croissant de troubles musculo-squelettiques, qui représentent actuellement, et de loin, la première cause de maladies professionnelles indemnisées, l'émergence ou la redécouverte de pathologies nouvelles nécessitent également que de très importants efforts soient menés pour améliorer notre connaissance des risques professionnels sur la santé. De plus, dans le contexte économique actuel (sous-traitance, intérim, coexpositions aux toxiques, faibles expositions, etc.), la caractérisation des expositions professionnelles, nécessaire à l'évaluation de leurs éventuels effets sur la santé, relève d'un défi que les épidémiologistes doivent tenter de surmonter.
Des priorités nationales et régionales
L'exigence, soulignée dans le rapport du Haut Comité de santé publique publié en 2002, de prise en compte des risques professionnels en tant que priorité de santé publique n'a jamais été aussi forte. L'émergence progressive des questions relatives aux pathologies de l'amiante du champ santé au travail vers le champ de la santé publique constitue un exemple concret de l'évolution actuelle des idées dans ce domaine et du rôle de l'épidémiologie dans cette évolution.
Ainsi, la prise en compte progressive de la thématique « cancers professionnels » dans les programmes régionaux de santé a-t-elle été favorisée par la réévaluation du nombre de cas de cancers liés à une exposition à l'amiante réalisée en 1996 au cours de l'expertise collective INSERM, conjuguée à la pression des associations de défense de patients.
L'amélioration des connaissances sur les risques professionnels dans ces différentes dimensions (fréquence des expositions professionnelles - enquête SUMER -, caractérisation de ces expositions, évaluation de leurs effets sur la santé, et notamment de leurs effets précoces, évaluation du dépistage, évaluation des mesures de prévention) est donc un préalable nécessaire et incontournable à l'établissement de priorités de santé publique à l'échelle nationale et régionale. Dans ce cadre, l'intrication entre santé au travail et santé publique paraît particulièrement forte, ce qui justifie qu'une conférence soit consacrée à ce thème lors du colloque.
L'amiante et les autres
Les progrès enregistrés dans le domaine des pathologies de l'amiante (et encore insuffisants à certains points de vue) ne doivent pas faire oublier les autres pathologies professionnelles qui pourraient, elles aussi, être considérées comme des priorités de santé publique : les cancers professionnels hors cancers de l'amiante (cancers bronchiques, cancers de la vessie, cancers ORL, cancers cutanés), les pathologies allergiques, et en particulier les asthmes professionnels, dont l'Observatoire national des asthmes professionnels a bien montré en France la sous-estimation, les troubles musculo-squelettiques, la souffrance psychique liée, entre autres, à la violence au travail et aux nouvelles organisations du travail pour n'en citer que quelques-unes. De plus, une attention particulière doit être accordée à des pathologies redécouvertes ou émergentes, telles que les broncho-pneumopathies chroniques obstructives d'origine professionnelle ou le vieillissement au travail.
Face à ces questions de santé publique, l'épidémiologie professionnelle tente de répondre par une sophistication sans cesse croissante de ses méthodes et de ses outils, et, en particulier, de ses outils d'évaluation des expositions professionnelles.
Si le développement des études épidémiologiques est nécessaire à la définition d'une politique cohérente de priorités de santé au travail, visant à une meilleure prévention et à une meilleure reconnaissance de ces facteurs professionnels, gageons que les débats qui auront lieu lors de ce 8e colloque de l'ADEREST contribueront à favoriser cette avancée des connaissances.
* Service de pathologies professionnelles du CHU de Rouen.
**AMSN, Rouen.
L'ADEREST
Née il y a plus de dix ans, l'Association pour le développement des études et recherches épidémiologiques sur la santé et le travail (ADEREST) regroupe principalement des médecins du travail (environ 50 % des adhérents), des membres d'équipes de recherche spécialisées (INRS, INSERM, InVS...) dans le domaine de l'épidémiologie professionnelle (environ 20 % des adhérents) et des enseignants de santé au travail (également 20 % des adhérents).
Cette pluridisciplinarité avant l'heure, voulue et entretenue par les membres fondateurs de l'association, a permis de favoriser l'utilisation des méthodes épidémiologiques en milieu de travail mais surtout le rapprochement des différents acteurs de terrain et des épidémiologistes, comme dans l'étude ESTEV, par exemple.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature