Quand on vit sous le seuil de pauvreté, est-on condamné à vivre la maladie comme une fatalité inéluctable ? En l'état actuel des choses, sans doute. Pourtant, « un soupçon de bonne volonté de la part des pays favorisés suffirait à changer la donne », selon Paul Farmer. « Il est possible d'endiguer l'expansion des épidémies infectieuses dans les pays en voie de développement, en faisant preuve de dévouement et d'imagination », dit-il.
En mettant à contribution ses connaissances en anthropologie et en sociologie, le médecin a mené à bien un projet pilote à Haïti : fournir des antirétroviraux aux séropositifs d'un petit village. Les clés de ce succès : l'accompagnement des malades combiné à une stricte économie des moyens. La prescription des coûteux antirétroviraux n'est en effet pas systématique ; elle ne survient qu'en dernier recours, dans 10 % des cas. Les séropositifs les moins avancés se contentent d'antifongiques et d'antibactériens basiques. Par une simple analyse clinique, les médecins définissent précisément le stade où ceux-ci sont devenus inefficaces.
Bilan : une minorité de patients pèsent lourd financièrement. Les premiers résultats sont encourageants, surprenants même : une prise de poids pour la plupart, accompagnée d'une diminution des décès et des séjours à l'hôpital. Un pied de nez aux idées reçues. Toutefois, le projet n'aurait pu aboutir sans le parfait respect du suivi thérapeutique. Pour s'en assurer, un réseau d'accompagnateurs a été mis en place. Leur mission : se rendre quotidiennement au domicile des malades pour vérifier la prise des médicaments. Le résultat de l'expérience est à la hauteur des efforts engagés. Un espoir pour le tiers-monde.
Avec ses huit millions d'habitants, Haïti est le pays le plus pauvre de l'Occident. Quatre cent mille séropositifs attendent désespérément une hypothétique prise en charge. Paul Farmer n'a qu'une idée en tête : appliquer son projet pilote à une grande échelle. « Si le gouvernement s'investit et qu'une aide internationale est débloquée, soigner tous les séropositifs haïtiens est du domaine du possible !Idem pour d'autres Etats, mais c'est une autre question de savoir s'il y a une réelle volonté de faciliter l'accès aux médicaments. »
L'histoire naturelle des maladies
Quelle est la part exacte des inégalités sociales dans l'expansion des épidémies ? Répondre à cette délicate question, telle est la tâche de Paul Farmer, au Collège de France, pour l'année à venir. Sous le titre peu engageant « la Violence structurelle et la matérialité du social », l'analyse va lier expériences de terrain et théorie sociale. « En fait, je vais expliquer comment les inégalités sociales créent le risque d'épidémies. » L'étude portera sur la tuberculose, le SIDA, le paludisme et le charbon. Ses grands axes sont déjà définis. Paramètre indispensable à prendre en compte, l'épidémiologie occupera une place de choix dans la réflexion. Elle permettra une analyse fine de la distribution géographique des maladies en fonction du niveau de vie. Autre piste susceptible d'apporter un éclairage nouveau d'après le Pr Farmer, l'étude de l'histoire naturelle de chacune des maladies. « Prenons le cas de la tuberculose, qui touche le tiers de la planète. Pourquoi les 10 % de patients infectés par la forme active de la maladie sont-ils ceux qui vivent dans les pays ou milieux défavorisés socialement ? De même, pourquoi les pays riches sont-ils peu concernés par le phénomène de réactivation? » Paul Farmer espère bien parvenir à le comprendre. Enfin, l'analyse ne pourra pas se passer de critères économiques. Le problème de l'accès aux médicaments sera largement disséqué par le professeur. Voici donc une vaste étude en perspective. Les résultats seront communiqués d'ici à un an. « Le respect des droits de l'homme occupera une place majeure dans ma réflexion », a souligné Paul Farmer.
* Le cycle de conférences débutera le mercredi 21 novembre à 11 h.
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