TOUT CECI est admirable, mais en quoi la philosophie peut-elle être un remède, ou même une vague consolation ? Depuis plus de vingt siècles que les philosophes dissertent sur la douleur ou la souffrance psychique, rien n'a été résolu pour nous dès qu'une dent ou un ongle nous tiraille.
La réponse nous est donnée par l'auteur, au début de son livre, par une phrase fort intéressante : «Chaque fois que se produit une crise d'identité, c'est l'identité sociale qui est la première à craquer.» C'est celle-ci qui perturbe l'identité personnelle, plus que le contraire. Dans le chômage, on est mort pour autrui, on tombe, on choit dans la déréliction. Ce qui va donner au livre de Jean-Louis Cianni sa double dimension : le portrait de l'existence du chômeur dans la vie quotidienne et, par ailleurs, un appel aux philosophes, avec un goût particulier pour le thème de la mort.
Des présocratiques aux aurores du XVIIe siècle, il les a tous « faits », il les connaît tous, l'ami Cianni, il pense, grâce à Platon, que «philosopher c'est apprendre à mourir», mais Spinoza lui révèle que c'est en fait «apprendre à vivre».
Dans l'entre-deux, il s'est nourri de mille sagesses, mille attitudes. Epicure lui montre qu'un plaisir modéré, fait d'une douleur tendant vers zéro, est à portée de main. Quant à la mort, il n'y a pas lieu de la craindre car «tant que nous sommes là, la mort n'est pas là, et quand elle est là, c'est nous qui ne sommes plus». Une déclaration qui hélas ne console pas notre héros, homme en souffrance, «je suis là et c'est comme si j'étais mort».
Peut-être le cynique Diogène est-il plus utile, il lui renvoie tout ce qui dans une vie de cadre relève de l'image ; l'ex-dircom n'en a d'ailleurs plus beaucoup, n'est-il pas temps que l'ex-fougueux décideur se cherche un tonneau ?
Profitons-en pour dire que le charme incontestable du livre réside dans ce curieux va-et-vient entre la vie quotidienne du chômeur et les théories philosophiques, dont on peut se demander si elles sont vraiment salvatrices. Longtemps, Jean-Louis Cianni s'est levé de bonne heure. Il doit maintenant rester chez lui, «réinvestir un espace que j'avais seulement effleuré», douleur du chômeur, souvent traité de paresseux ou de fainéant, contraint d'habiter un espace où il ne devrait pas être. Il y a là d'excellentes pages où nous est dite l'identité qui se dissout dans la glace de la salle de bains, écartelée entre le refus de ce visage mal rasé et la prise de distance avec l'ancienne image trop lisse et fonctionnelle.
Corps blessé et mort sociale.
Au chômage, l'esprit gamberge, mais le corps craque aussi. On comprendra que notre auteur ait jeté son dévolu sur un penseur comme Spinoza. Il est le promoteur d'une philosophie du désir, le conatus, qui est une force positive, par laquelle notre être gagne en puissance et en joie. Hélas, au chômage, le corps est menacé et pleuvent les somatisations. Jean-Louis Cianni est saisi d'une étrange douleur au bout des doigts : arthrose cervicale, nerf enflammé, la honte de la maladie s'est ajouté à celle du chômage, dit-il tristement. Une tristesse qui, chez Spinoza, se confond avec l'amoindrissement du conatus, de la puissance d'agir.
Schopenhauer et sa mort paisible, Diderot et sa mort subite – 21 pierres dans la vésicule pour celui qui croyait plus à l'autopsie qu'en Dieu – ne le consolent guère d'une mort sociale qui s'accentue. L'Anpe lui a remis sa carte de demandeur d'emploi. Maintenant, dérobé à tout contact social, il n'est plus que le numéro 7338077 W. Est-il vivant cet homme, se demande-t-il ? «Pour moi, il ressemble plutôt à ces âmes errantes qu'Ulysse entrevoit dans l'Hadès», dit-il.
Sera-t-il consolé, Jean-Louis Cianni, si nous lui disons que son livre est une merveille d'intelligence et d'émotion ? Il est aussi plein de méditations, d'idées. Ce n'est pas peu. Bergson ne disait-il pas que tout philosophe était l'homme d'une seule idée ?
« La Philosophie comme remède au chômage », Jean-Louis Cianni, Albin Michel, 209 p., 15 euros.
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